[Anatomie d'un instant | Javier Cercas, Elisabeth Beyer (Traducteur), Aleksandar Grujicic (Traducteur)]
Le 23 février 1981 le colonel Tejero et ses gardes civils envahissent la salle où les députés espagnols sont en train de délibérer pour choisir un nouveau chef de gouvernement, Adolfo Suarez étant démissionaire. Pendant quelques heures l'issue du coup d'état est incertaine. C'est le roi Juan Carlos qui fera basculer les indécis dans le camp de la légalité en imposant son autorité aux militaires dissidents et en s'adressant directement aux espagnols à la télévision.
Javier Cercas aborde ces évènements d'une manière non conventionelle. Ce livre n'est ni le livre d'un historien, bien que tout y soit rigoureusement exact, ni un roman puisque tous les personnages ont bien éxisté et que la trame de "l'histoire" ne doit rien à l'imaginaire de l'auteur.Dans un prologue à son livre Cercas explique sa démarche ; l'envie d'écrire un ouvrage sur le 23 février se heurtait au choix de la forme : étude historique ? roman ? Les protagonistes de ces évènements parurent alors à Cercas comme des personnages de roman. C'est le visionnage en boucle du film (le caméraman de la TV espagnole continua de filmer pendant les premières heures du coup d'état...) qui le lui confirma. On y voit en effet deux des principaux protagonistes de l'histoire, Adolfo Suarez le premier ministre démissionaire, et Santiago Carillo le communiste pur et dur, rester tous les deux inflexibles sur leur banc de parlementaire alors que tous leurs congénères s'étaient applatis au sol lorsque les gardes civils arrosèrent la salle du congrès de leurs mitraillettes. Cercas se demanda alors quelles pouvaient bien être les motivations de ces deux là. D'où des questionnements nombreux et contradictoires qui parcourent le livre qui se veut comme une dissection du coup d'état (Anatomie d'un instant).D'où s'en suit également un style confus qui met parfois la compréhension à mal....
Ceci dit ce livre est d'abord un bon outil pour comprendre, presque heure par heure, le déroulement du coup d'état, ses causes, ses raisons profondes, le poids de l'histoire....L'auteur se fait chercheur, pose des hypothèses,prend parti....
Il revient longuement sur le difficile accouchement de la démocratie espagnole . Celle-çi loin de s'être imposée, presque "naturellement" , fût le résultat d'un "gentleman's agreement" entre les franquistes "historiques" et les "libéraux" épaulés par le roi ; le principal article étant que jamais la "démocratie" ne devrait demander des comptes sur les temps passés... et ne jamais officialiser le Parti communiste..;(ce que Suarez fit pourtant ! ). On comprend alors que le coup d'état du 23 février 1981 ne fût pas un "golpe" d'opérette, malgré les gesticulations du Lieutenant-colonel Tejero ponctuées de sa voix de fausset...Derrière lui s'agitaient tout le ban et l'arrière ban des franquistes nostalgiques ; des militaires bien sûr, mais aussi des hommes de l'entourage du roi mus autant par la revanche que par l'ambition. Javier Cercas, au vu d'archives,soupçonne même le roi d'avoir, par un jeu trouble ou du moins par une passivité malheureuse, encouragé la rebellion.
Un livre qui intéressera les "afficionados" de l'Espagne et de son histoire.
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