Un sentiment étrange me saisit en refermant cette autobiographie de jeunesse, couvrant la période entre 1914 et 1940, d'un enfant turc de bonne famille devenu officier de l'armée de l'air, laquelle fut publiée à Londres en anglais en 1950.
Pendant plus de 400 pages j'ai été franchement déçu : par le style très classique de narration d'un thème également très topique de la littérature - la déchéance absolue d'une famille prospère à cause des avatars d'une guerre ; par la nature franchement orientaliste de certains chapitres, notamment les premiers ; par la rareté et la médiocrité des références au cadre historique environnant - alors que je m'attendais à un parallèle entre le chute de la famille et celle de l'Empire - voire par la caractère très attendu de celles-ci - le mère qui ôte les grillages des fenêtres de sa maison, puis se refuse au port du voile, les résistances populaires à la loi kémaliste des couvre-chefs à l'occidentale ; enfin par des relations familiales stéréotypés et manquant apparemment de profondeur. Certains éléments du récit me semblaient même contradictoires : le désespoir de l'enfant arraché à et par sa mère pour être éduqué dans un internat, et un an ou deux plus tard son empressement à vouloir accéder à un autre internat (école militaire). Autre grand silence (appris ex post) : celui qui concerne les relations probables de l'auteur avec la fille adoptive d'Atatürk, Sabiha Gökçen, elle aussi pilote de chasse à l'Ecole de l'Air.
Puis le dernier chapitre (Ch. XXX : Au revoir Sevkiye), autour de la folie et du décès de la mère, m'a fortement marqué, et m'a permis de repenser l'ensemble du récit comme une narration du non-dit dans les relations entre fils (narrateur) et mère, possédant un caractère d'indicible profondément dramatique, dont seul le dénouement permet de donner la mesure.
Puis enfin le long épilogue (40 pages) signé par le fils de l'auteur m'a de nouveau beaucoup bouleversé. Cet épilogue révèle deux aspects inattendus : la partie la plus mystérieuse, romanesque et troublante de la biographie de l'auteur commence là où il a achevé son autobiographie, à savoir vers 1942-43, alors qu'il est envoyé à Londres par l'armée turque, où il rencontrera sa future épouse qui sera la cause d'un renversement complet de son destin, de son existence et de sa fortune. Second aspect inattendu : ce revers de fortune reproduit presque exactement celui de son enfance, sauf la migration, et surtout il présente un nombre énorme de similarités avec le destin de la mère (y compris l'incendie d'une maison) ainsi que certaines analogies avec son épouse. Dans ces conditions, la relative banalité de l'histoire contée devient l'emblème de la véritable histoire cachée, de l'histoire du vrai crépuscule, celui de l'exil, et d'une cyclicité vécue comme une malédiction.
L'exil devient aussi, très évidemment, le principal moteur de l'écriture, d'une production autobiographique qui s'inscrit par sa motivation dans la littérature migrante : une motivation de revalorisation dans la chute socio-financière et sans doute aussi familiale-affective qui caractérisa de toute évidence les 25 dernières années de vie de l'auteur après ses mémoires...
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