Il aura fallu l’enthousiasme réitéré des lecteurs de l’Agora pour qu’enfin je dépasse mes petits hérissements épidermiques liés sans doute à la fadeur d’un dessin simpliste et à la thématique convenue d’un citadin mal à l’aise dans sa peau et son époque. Le succès même de l’album (prix du meilleur album à Angoulême en 2004) me paraissait suspect. Je n’attendais rien du Combat ordinaire et j’ai pris une bonne gifle. Dès les premières cases (de vide ?) chez le psychanalyste, on s’amuse déjà beaucoup. Les silences sont éloquents et la face lunaire du thérapeute demeure indéchiffrable. Sans cesse, Manu Larcenet va jouer sur le non-dit et l’ellipse sans apporter de dénouement aux séquences qui se tissent et composent peu à peu le quotidien d’un jeune photographe sujet à des crises d’angoisse. A l’inverse du Retour à la terre, les personnages pourtant esquissés prennent tout de suite de l’épaisseur. Les relations paraissent crédibles. Qui n’a pas déjà rencontré une personne obtuse, vindicative et sûre de ses droits à l’exemple du chasseur de l’histoire (pourtant avide de reconnaissance) ? Qui n’aimerait pas trouver l’amour à travers une personne intelligente et attentionnée à l’exemple de la jeune vétérinaire ? Le retraité à béret basque est intrigant. Ses remarques dénotent un esprit cultivé et raffiné : « Je ne connais rien de plus captivant que de faire des images… Quand tous les éléments de la nature s’ajustent, s’ordonnent, s’imbriquent… C’est une émotion sans pareille… » Son passé va se dévoiler avec fracas. Cela démarre par une remarque anodine du photographe le voyant pêcher : « Vous martyrisez les poissons ? » D’ailleurs, une ancienne photographie va faire le lien avec le présent et amener au premier plan la guerre d’Algérie. Des phrases terribles scandent des échanges exacerbés : « Vous pensez peut-être que je suis indemne de l’existence que vous me reprochez ? » ; « J’attends seulement de mourir avec plus d’impatience que la majorité des gens de mon âge… » On a envie de pleurer de rage face au gâchis des vies avortées et le manichéisme n’est pas de mise ici. Le lecteur ne peut pas trancher. Il reste dans l’expectative. Indubitablement, Le Combat ordinaire est une réussite par l’agencement et la teneur de l’histoire. Le dessin n’est plus simpliste mais simplifié. Il cherche à rendre compte au mieux des sentiments qui animent les personnages. La thématique ne semble plus aussi conventionnelle. Ce premier volume engage vivement à lire la suite.
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