[Les Aventures de Tintin. T. 21, Les Bijoux de la Castafiore | Hergé]
La non-aventure de Tintin, Les Bijoux de la Castafiore, se passe quasiment en huis clos au château de Moulinsart, domaine du capitaine Haddock. Bianca Castafiore débarque et, d'imprévus en impromptus, sur l'air des Bijoux de Faust, elle fait valser les lapsus comme d'autres effeuillent la marguerite. Les Bijoux constituent une bonne entrée en matière à Introduction à la psychanalyse de Sigmund Freud. Le deuxième niveau de lecture est hilarant. Si Bianca reste une oie blanche, elle passe son temps à mettre le feu autour d'elle. Elle allume littéralement le capitaine Haddock en lui faisant sentir une rose. Une guêpe pique son nez qui enfle, turgescence rouge qu'un cataplasme de pétales tente de dégonfler. La Castafiore peut même être explicite quand elle bande l'index du capitaine (pincé par le bec d'un perroquet, cadeau de la diva) : "Voilà une jolie poupée pour un marin solitaire !" Ses lapsus sont révélateurs. Dans sa bouche, Haddock devient : "Mastoc, Paddock..." Femme de caractère, narcissique, la cantatrice peut devenir castratrice. De quels bijoux craint-elle d'être dépossédée ? Ceux du maharajah de Bopal ou bien ceux du capitaine bougon ? Plusieurs leitmotivs scandent le récit : le vol imaginaire des bijoux, la marche cassée à remplacer, les erreurs dans les appels téléphoniques. Tout un monde se télescope sans jamais se rencontrer. Tintin est en dehors de cette grande bouffée érotique. Il enquête, suspecte, part sur de fausses pistes. C'est lui aussi qui identifiera le voleur après avoir innocenté des coupables potentiels. L'installation d'un campement de Bohémiens est une trouvaille géniale d'Hergé par le traitement qui en est fait. L'auteur arrive même à faire porter les soupçons du lecteur sur les Roms avec le vol des ciseaux de l'habilleuse dévouée, Irma, vol perpétré par la petite Marika, Bohémienne sauvageonne et attachante. Les Dupondt apparaissent encore avec toute la finesse et l'intelligence qui les caractérisent. Pour eux, sans aucune preuve à l'appui, les Romanichels sont forcément coupables.
Cet album constitue un sommet dans l'oeuvre d'Hergé. Chaque planche est un régal. Les gags filent de case en case, rebondissent et s'amplifient. Plusieurs niveaux de lecture sont possibles. On rit de se voir si peu beau dans cet album miroir. On tient là un chef-d'oeuvre, véritable condensé de l'oeuvre floutée du maître de la ligne claire. Les a priori et les à-peu-près ont les coudées franches. Les communautés s'évitent. Les hommes s'agitent. Tout cela en vain, pour notre plus grand plaisir.
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