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[Qu'avons-nous fait des drogues ? | Mario Sanchez (dir.)...]
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apo



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Posté: Lun 08 Nov 2021 16:04
MessageSujet du message: [Qu'avons-nous fait des drogues ? | Mario Sanchez (dir.)...]
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[Qu'avons-nous fait des drogues ? | Mario Sanchez (dir.), Erica Charavet, Clarisse Gervais]

Cet essai part du constat, assez communément observé et accepté, que le caractère problématique de l'usage des drogues, davantage que dans la distinction fondée sur la fréquence de leur consommation (et donc sur la notion assez floue d'addiction), réside dans leur importation dans des contextes qui n'en connaissent pas la régulation et dans leur utilisation pour des buts individuels (et anomiques) plutôt que sociaux : Mario Sanchez oppose, sur ce dernier point, la recherche de « sensations » plutôt que d'« expériences ». Dans son introduction : « Pour une intelligence sociale des drogues », il pose ce cadre théorique en dénonçant en particulier inintelligence diffuse (surtout celle du législateur de 1970...) en matière d'héroïne, par rapport à « notre savoir-faire avec l'alcool ». Les cinq parties successives du livre s'inspirent avec beaucoup de perspicacité de thèmes existentiels abstraits assez vastes pour contenir, autour d'une drogue ou d'un type de substance pour chacune, à la fois : (1) un exposé ethnographique de l'entendement qu'en ont les Autres, usagers éloignés, membres des sociétés dites traditionnelles – surtout les traditions chamaniques d'Amérique latine –, (2) un entretien savant sur l'entendement que nous en avons « nous-Autres », et enfin (3) un témoignage d'un consommateur (ou non-consommateur) contemporain du produit en question. Cette construction présente quelques irrégularités, mais elle possède deux grands mérites, qui font la qualité du volume : d'une part d'avoir choisi des thèmes à la fois inattendus et inclusifs, qui ne soulignent pas l'exotisme des Autres mais au contraire sont susceptibles de nous faire nous représenter « nos » consommateurs comme des « nous-Autres » ; et d'autre part de ne pas verser dans une idéalisation nostalgique d'un usage édénique des drogues : car certaines pratiques traditionnelles nous apparaissent sous un jour remarquablement cruel, féroce et peu désirable.
Les thèmes sont donc les suivants :
1 - « Rencontrer Dieu » - par l'ayahuasca des chamanes d'Amazonie et le MDMA (ecstasy) du témoignage ;
2 - « Se méconnaître » (les rapports à soi-même et à l'autre) – par la cocaïne et l'alcool dans les fêtes bacchanales avec excision des jeunes filles des Indiens Shipibo et dans le massacre rituel sanglant commémoratif de la Conquista espagnole (« El Tinku ») des Indiens boliviens d'une part, et « L'impression d'être un preux chevalier en armure » du témoignage d'un « bon bourgeois et bon père de famille » névrosé occidental, d'autre part ;
3 - « S'unir » - l'alcool dans les rites de l'union conjugale et de l'union mystique avec Dieu selon les traditions juive et chrétienne et dans l'ambiguïté de l'interdit musulman, d'une part, et le témoignage contemporain d'un alcoolique issu d'une éducation catholique rigide, d'autre part ;
4 - « Mettre les sexes à leur place » - encore sur l'alcool dans le cadre des violences sexuelles, entre les traditions médiévales du charivari et du carnaval, la tradition du Nan au Cameroun, et deux entretiens : le premier avec une avocate spécialiste des violences conjugales (qui parle de la dialectique entre alcoolisation du mari et de la femme et situations de violence physique, psychologique et sexuelle) et le deuxième sur la violence dans les relations de couple liée à la peur du désir féminin et à la difficulté de l'assumer ;
5 - « Tuer et se faire tuer » - sur les usages des drogues (haschich, alcool, opium, héroïne) dans les contextes militaires, entre guerres anciennes et la guerre du Vietnam, avec pour contrepoint le témoignage d'un ancien guérillero argentin qui parle de l'abstinence absolue et de l'éthique du sacrifice de soi qui régnaient dans les rangs des mouvements communistes sud-américains des années 60-70.



Cit. :


1. « Si, de nos jours, ce guide [qui connaît la substance et en régule la consommation] n'existe plus, c'est parce que nous ne recherchons pas le bénéfice de l'expérience mais seulement celui de la sensation.
Ainsi, le but ultime de ce que nous appelons l'"usage privé des drogues" est d'"être bien", quels que soient l'objectif de la consommation et les drogues utilisées. Les drogues sont dans nos sociétés une fin en soi, alors qu'elles étaient et qu'elles sont encore parfois pour d'autres peuples un simple moyen, un médium. L'usage occasionnel sert un bine-être que le produit aide à atteindre. Le dépendant ne peut, quant à lui, être tout simplement normal sans produit. Entre les deux, le consommateur régulier ne pourra plus être comme il le décide, dans telle ou telle situation, sans produit. Ainsi, nous ne cherchons plus dans notre vie moderne à faire évoluer notre conscience ou notre situation ; nous cherchons – et nous acceptons, maigre pitance – à ce que cette amélioration s'accomplisse, même brièvement, par le produit. Sans en mesurer les conséquences, neurologiques en particulier. » (p. 18)

2. « Quand l'ayahuasca a été breveté aux États-Unis par Loren Miller (de l'International Plant Medecine Corporation, brevet déposé au Bureau des marques et des brevets, en 1998), des chamanes colombiens ont engagé des avocats et ont intenté un procès contre Miller pour refuser que l'ayahuasca soit breveté. Ils ont gagné. Je possède un film de leur arrivée aux États-Unis. L'un des leaders de ce mouvement de chamanes parle aux caméras et dit une chose extraordinaire : "La première plante que vous avez volée aux chamanes, c'est le tabac. Et voyez où vous en êtes avec le tabac. La deuxième plante que vous avez volée aux chamanes, c'est la coca, regardez dans quel état sont vos enfants. Si vous nous prenez l'ayahuasca, vous allez devenir fous. Cela ne sert à rien, si vous prenez les plantes sans connaître leur usage." » (p. 35)

3. « La question n'est pas celle de la croyance, mais celle de la manière de rendre les choses opérationnelles. […] Le concept appartient à un mot créé par une langue. Lorsque l'on élabore les concepts, on crée, en même temps, leurs conditions opératoires. Je ne sais pas si les dieux existent en dehors de leur conception, de la même façon que le chlorhydrate. Cela n'existe pas, c'est un concept. Il est existant à partir du moment où on le rend opératoire. Lorsqu'on dit que le tabac est un être exigeant, jaloux, c'est toute une manière, qui n'est pas seulement métaphorique, de gérer la relation à la substance. Tandis que nous n'avons qu'un mot, l'addiction, auquel on ajoute les termes de physique, de psychologique. Qu'est-ce que le réel ? Nos langages fabriquent des concepts. Les dieux, on peut les comparer à la langue. Finalement, la langue, on la parle et on est parlé par elle. Les dieux, on les fabrique, mais ils nous façonnent en retour. » (p. 43)

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