Mon premier livre de Charbonneau. Je dois dire que je ne suis pas déçu!
Ses phrases ont un je ne sais quoi de poétique bien tournée qui donne de la force à ses propos. Je trouve que Charbonneau, s'il écrit de façon moins systématique que Jacques Ellul, est néanmoins plus facile à lire (pas forcément plus facile à comprendre). Il se laisse aller à imager ses propos, de manière tantôt belle, tantôt écoeurante, mais toujours avec force.
Ici, il traîte de la condition humaine dans le contexte des révoltes et des révolutions sociales. Une très belle oeuvre, dont je ne peux m'empêcher de vous donner quelques citations qui m'ont touchées :
- je préfèrerais moins de liberté dans moins d'organisation
- (en parlant de nos lumières scientifiques) notre lumière est trop crue; son éclatant miroir nous renvoie notre propre vue, laissant intacte à son envers une pure opacité que désormais rien n'éclaire : hors des sciences, il n'y a plus que magie noire.
- combien d'hommes demeurés sains d'esprit dans un monde où la logique serait moins exigeante perdent la raison dans celui-ci!
- dans une société qui n'a plus de critères spirituels, l'individu "normal" ne peut être que statistiquement défini, c'est l'individu moyen.Tout ce qui sort de ce modèle n'est plus qu'anormal.
- la liberté n'est pas dans l'absence de chaines, mais dans la force qui les rompt.
- le conformisme d'hier - respecter son père, être fidèle à sa femme - deviendra la vertu personnelle d'aujourd'hui.
- qui vit dans la nature tente de s'en déprendre, et qui l'a perdue s'en revendique à grands cris.
- les femmes se fardent parce que, dans la société du désir, le premier devoir est de plaire, même si l'on n'a rien à vendre.
- (le femme) réclame l'égalité avec l'homme, mais comme bien des revendications d'égalité, celle-ci est revendication de similitude.
- le métier reste la plus solide des chaines.
- qui n'est pas emmerdé s'emmerde.
- il n'y a plus de fête quand elle a lieu tous les jours.
- dans une société dont la réussite est le seul sens, la vie n'en a plus pour qui a réussi.
- quelle société élimine le mieux la révolte, celle qui la réprime, ou celle qui l'intègre? Celle qui la brise ou celle qui la corrompt?
- si notre société tolère une certaine immoralité, elle ne pardonne pas à l'échec.
- nous sommes ailleurs; partout sauf ici, présents en nous-même. Nous fuyons ce qui est proche, car ce qui est proche nous concerne; et qui est proche est profond, donc vertigineux.
- comme un homme qui se noie dans un gouffre, celui qui prétend refuser toute vérité formulée est prêt à se cramponner à la première venue. Le vide appelle le plein : qui ne croit à rien peut croire à tout.
- au seigneur exploitant des serfs succède le patron exploitant des prolétaires.
- il n'y a qu'une fête, quand quelqu'un ouvre les yeux sur l'univers et sur autrui; et elle peut avoir lieu à tout instant. Mais celle-ci est chant profond, donc silence.
- la jeunesse, c'est une idée de vieux (...) qu'importe qu'elle crie contre la consommation pourvu qu'elle consomme!
Après ça, je constate encore une fois combien il est difficile de citer hors contexte. Évidemment, chacune de ces citations est intimement liée à un développement, et si la citation n 'est pas poétique en soi, le développement l'est, et le sens est là. J'espère tout de même que ça vous aura donné un peu soif!
Ce livre est une critique de la société, mais aussi des révolutions, qui ne font que reproduire - en en changeant la forme - les sociétés précédentes, mais en pire. Il dit à ce propos : "il arrive qu'en voulant tuer le père on le ressuscite". Un très beau livre à méditer.
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