Des premières anecdotes de son enfance jusqu'au retour du service militaire, Velibor Čolić trace dans ce « roman inventaire », une sorte d'autobiographie avec un style enlevé et ironique. Né en 1964 dans une petite ville de Bosnie, l'auteur peint sa jeunesse dans une Yougoslavie encore unie, communiste et pluriconfessionnelle, au sein d'une famille dont le père est un juge inconditionnel de Tito et la mère une catholique dévote de Saint Antoine, qui ne s'en cache pas... Les souvenirs sont égrainés avec un langage et une intelligence du monde qui reflètent très exactement l'âge du narrateur, dont les seules constantes sont l'esprit gentiment rebelle et l'ambition de devenir poète. Entre camarades et adultes tous affublés de drôles de surnoms, le protagoniste évolue des quatre cents coups de la bande de voyous aux émois et inquiétudes existentielles de l'adolescence, en passant par la perte de sa mère, jusqu'aux rudesses de l'armée dans un poste de frontière. À chaque fois, le ton est juste et le rire sur des anecdotes légères et frivoles se mélange à des considérations et à des sentiments plus complexes relatifs à une société à jamais disparue.
Cit. :
1. « Notre Dieu communiste est lui aussi grassouillet et barbu. Mais il porte un nom de chien : ce n'est ni Rex, ni Lux, mais Marx. Apparemment, il a écrit de gros livres. Son meilleur pote porte lui aussi une grosse barbe et il est anglais, comme son nom l'indique : Engels. Parfois, on met un Russe – Lénine – avec eux sur les affiches, parfois non. On ne sait pas trop comment faire, notre instit Tzane non plus.
Écoutez les enfants, nous dit-il, le plus important c'est notre maréchal Tito, bien sûr. Les autres, ils étaient tous un peu juifs et capitalistes. » (p. 64)
2. « Notre capitaine, et ça, on l'a vite compris, déteste les Bulgares. Et pas qu'eux. Il déteste en fait tous les pays voisins du nôtre. "À l'ouest, les Ritals et les Boches autrichiens, explique le capitaine, et à l'est les Tziganes roumains, les pédés hongrois, les bougnoules albanais, rien que des emmerdeurs comme ça... Vous voyez, mes soldats, sans notre armée, ils boufferaient notre pays comme un p'tit pain..."
Selon lui, nos véritables amis sont loin. Et plus c'est loin, mieux c'est. L'Égypte, l'Algérie, le Mozambique, le Cambodge de Pol-Pot, puis, bien sûr, le Vietnam et le paradis communiste guidé par la main visionnaire de Fidel Castro. Le camarade capitaine l'appelle Fidel Castor. Mais, vu son sale caractère, nous, les soldats, on se tait. » (p. 201)
3. « Quelque chose, peut-être un pied ou une aile d'ange, guide mes lèvres sur son cou si fin et sucré, sur ses oreilles ornées d'ambre et de suc de chlorophylle. Sa peau est lisse, je veux sauter dans le noir de son corps.
Ses tétons, et ensuite son nombril, se réveillent sous mes doigts. Ma paume est prête, mon bas-ventre aussi. Son souffle a soif, le mien également. Ce beau matin d'avril, Barbara et moi, comme certains végétaux, certains animaux, parfois même certains hommes, nous sommes bienheureux. » (p. 234)
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