[L’Europe ré-ensauvagée : vers un nouveau monde | Gilbert Cochet, Béatrice Kremer-Cochet]
Fouette Cochet !
La vie sauvage en Europe, abondante, variée et accessible est un rêve à chérir et un chantier monumental à entreprendre. Globalement, la nature n’a nul besoin de l’homme, épiphénomène à l’échelle des temps géologiques. L’inverse n’est pas vrai. En changeant d’angle de vue, en réparant ses erreurs (suppression des barrages, interdiction de la chasse et de la pêche industrielle, de l’agriculture intensive, dépollution, restauration des habitats naturels, etc.), l’espèce humaine pourrait s’offrir une nouvelle vie à peu de frais. En lâchant prise, l’homme voit la nature se déployer et reconquérir toutes les niches écologiques aujourd’hui désertées et il lui est loisible de s’en émerveiller.
Les naturalistes Béatrice et Gilbert Cochet dressent un bilan positif du ré-ensauvagement de l’Europe, ce Finistère de l’Asie, défriché et pâturé depuis des milliers d’années, à partir de ses marges orientales jusqu’à ses bordures océaniques, la nature originelle marquant le pas sous la cognée, la charrue et la dent des troupeaux domestiqués. Aujourd’hui, la déprise agricole libère d’immenses espaces réinvestis par la vie sauvage. Un monde nouveau pointe et pousse du mufle, du groin et du bec. Le premier chapitre, immédiatement captivant, énonce globalement et brièvement les caractéristiques naturelles de l’Europe. Le chapitre suivant présente le rôle des montagnes en tant que sanctuaires. Chamois, mouflons, bouquetins, chèvres sauvages, aigles, vautours, ours, loups, lynx défilent dans l’inventaire des espèces emblématiques, chassées, piégées, menacées d’extinction mais protégées, réintroduites, étudiées, connues, suivies. Un immense passage reliant parcs et réserves naturelles déjà existants est à mettre en place, des Monts Cantabriques en Espagne jusqu’aux Carpates et au Caucase s’étirant : « sur plus de 4 000 kilomètres sans discontinuité ». Bien des informations passionnantes étayent ces propos visionnaires et attirants. Le chapitre 3 évoque la progression des forêts. On peut se réjouir du retour des arbres et des animaux inféodés et désespérer des incendies monstrueux qui ravagent la Terre dans le sinistre sillage du réchauffement climatique. Les fleuves et rivières d’Europe ont ensuite voix au chapitre avec les poissons migrateurs : esturgeons, lamproies, saumons, aloses. En rappelant le rôle des moules d’eau douce, Gilbert Cochet est dans son élément. Si les barrages empêchent les poissons de frayer, ils retiennent aussi les sédiments enrichissant en minéraux les littoraux qui s’appauvrissent en conséquence : « Doit-on rappeler que les fleuves libres et sauvages, gratuitement et inlassablement, entretiennent nos côtes, nourrissent la mer et approvisionnent nos plages en sable blond avec l’élégance de la courbe ? ». Les chapitres suivants traitent avec ferveur et brio des zones humides, de la façade atlantique, du bassin méditerranéen, de la steppe. Enfin, les auteurs abordent la protection à l’échelle du continent avec l’exemple des parcs nationaux et au-delà à travers les grands corridors eurasiens.
Riche d’expériences partagées entre naturalistes européens, d’une documentation abondante et maîtrisée, étayé de cartes synthétiques, l’ouvrage est un plaidoyer du lâcher-prise ainsi qu’une somme accessible, facile et agréable à lire, sans cesse enthousiasmante. L’introduction de Baptiste Morizot se relit avec profit en postface. « L’Europe réensauvagée » trouve pleinement sa place dans la déjà précieuse collection « Mondes sauvages ; pour une nouvelle alliance », des éditions Actes Sud.
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