Le postulat de cet essai, dont le titre d'origine est quantitatif plus que qualitatif : How to Think More about Sex, est que l'on ne pense pas assez au sexe en n'écoutant que les explications des biologistes évolutionnistes – incontestables mais négligeant la psyché – et celles, fortement pathologisantes donc culpabilisantes, des sexologues. La structure de fond de l'ouvrage, tout comme celle de chacune de ses parties, est profondément et opportunément dialectique – entre positivité et négativité –, aucune des problématiques abordées, sans doute essentiellement insolubles, n'étant néanmoins laissée orpheline d'une perspective d'amélioration. En voici la trame :
« I. Introduction
II. Les Plaisirs du sexe :
I. Érotisme et solitude
II. Ce qui est sexy peut-il être profond ?
III. Natalie [Portman] ou Scarlett [Johansson] ?
III. Les Problèmes du sexe :
I. Amour et sexualité
II. Le rejet
III. L'absence de désir
IV. La pornographie
V. L'adultère.
IV. Conclusion. »
La plupart des chapitres sont introduits par un court récit fictionnel entre deux personnages hétérosexuels qui en illustrent le contenu, et dont les comportements sont analysés ensuite. Les références iconographiques, philosophiques et littéraires, bien que peut-être moins étoffées que dans d'autres essais de plus grande envergure de l'auteur, ne sont pas absentes, et elles confèrent de l'élégance et de la subtilité aux propos, comme d'habitude. L'humour est aussi au rendez-vous, ainsi qu'un relatif pessimisme pascalien. La bibliographie, de façon significative, se limite à des « Références » en fin d'ouvrage qui, de façon raisonnée, renvoient à quelques ouvrages et quelques films très classiques pour chacun des sujets traités dans les chapitres respectifs.
Mon reproche le plus sérieux consiste à noter qu'une perspective très fortement masculine et exclusivement hétérosexuelle est adoptée dans la totalité de cet ouvrage, au point que des biais colossaux apparaissent. Par exemple, le monumental
Rapport Hite, qui constitue un texte fondamental du féminisme étasunien et peut-être mondial, rapporté dans les « Références » du ch. II, n'est cité que pour la raison qu'il « contien[t] un nombre étonnant d'informations sur nos fantasmes. », au même titre que le célèbre
Psychopathia Sexualis de Richard von Krafft-Ebing ainsi que deux autres volumes un peu moins connus...
Certains arguments – comme la préférence pour Natalie Portman ou Scarlett Johansson –, l'absence de désir, associé quasi uniquement à son côté masculin, la pornographie dans sa prégnance dans la vie d'un individu et surtout l'adultère semblent tronqués au point de conférer à l'ensemble du livre l'aspect d'une agréable mais frivole conversation entre hommes dans le cadre de sociabilité d'un club londonien d'avant-guerre, conversation que j'imagine agrémentée d'un bourbon et d'un cigare, mais maigrichonne du point de vue scientifique. Toutefois, le nombre de cit. que j'ai retenues, toutes de nature assez psychologique, témoigne d'une certaine quantité de réflexion que la lecture a suscitée chez moi, outre que de mon adhésion au postulat de départ (bien qu'il me semble que l'auteur eût pu mieux rendre justice aux découvertes récentes des néo-évolutionnistes dont je suis friand).
Cit. :
1. « La raison pour laquelle ces réactions physiques procurent une telle satisfaction émotionnelle, en termes d'érotisme, est qu'elles signalent une forme d'assentiment qui va bien au-delà de la réussite technique. L'érection et la lubrification ne peuvent être obtenues par la seule volonté et témoignent par conséquent d'un intérêt authentique. Dans un monde où les faux enthousiasmes sont si répandus, un monde dans lequel il est souvent difficile de savoir si l'on est aimable avec vous par affinité véritable ou par devoir, l'érection et les sécrétions vaginales issues du plaisir sexuel fonctionnent comme preuves de sincérité flagrantes. » (p. 31)
2. « Le sexe nous libère de la dichotomie punitive, vécue par chacun depuis l'enfance, entre propreté et malpropreté. La sexualité nous purifie en sollicitant dans ses agissements nos organes les plus sales et en leur conférant une respectabilité nouvelle. Cela ne se vérifie jamais autant que lorsque nous appliquons la partie la plus visible et la plus estimable de notre individu, le visage, sur les parties intimes, présumées impures de notre partenaire. Les pratiques bucco-génitales entérinent notre adhésion symbolique au corps de l'autre dans sa totalité, tout comme le prêtre accepte le pénitent chargé de tous ses péchés, dans la religion catholique, en le réintégrant au sein de l'Église par le chaste baiser sur le front. » (p. 37)
3. « Remarquons d'abord […] que la privation de sexe dans le cadre d'une relation établie est typiquement liée à la transition difficile entre le registre quotidien et celui de l'érotique. Les facultés mises en jeu dans l'amour physique sont en opposition notoire avec celles que réclame la conduite de nos autres activités. La vie maritale implique tôt ou tard l'organisation d'un ménage et l'éducation d'un ou plusieurs enfants, tâches qui ne sont pas sans ressemblance avec l'administration d'une petite entreprise et qui demandent souvent les mêmes compétences professionnelles, gestion du temps, autodiscipline, autorité, aptitude à imposer un certain nombre de règles aux réfractaires, pour n'en citer que quelques-unes.
Le sexe, qui met au contraire en valeur nos capacités d'expansivité, d'imagination, de pétulance, qui valorise la perte de contrôle, impose, par sa nature même, une rupture avec cette routine contraignante et menace donc de nous laisser inaptes, ou du moins peu enclins, à reprendre le fardeau de nos responsabilités domestiques une fois nos désirs satisfaits. » (pp. 76-77)
4. « L'idée qu'un excès de réflexion est incompatible avec le sentiment persiste envers et contre tout, comme s'il n'était pas évident que penser et repenser constamment sa relation à l'autre était le seul moyen d'éviter de se détruire mutuellement.
Il y a dans notre culture un consensus écrasant en vertu duquel la principale difficulté relationnelle consiste à trouver la personne "idéale", alors que nous savons très bien que celui ou celle que nous devrons apprendre à aimer est un être réel, inévitablement "imparfait". Nos réticences à nous faire violence intellectuellement pour mener à bien une liaison amoureuse s'expliquent par notre vécu affectif. Dès la naissance, nous sommes choyés par des adultes qui ne peuvent pas nous révéler l'étendue du travail auquel ils consentent pour exprimer leur affection, des gens qui nous aiment sans rien en retour, qui montrent rarement leur propre vulnérabilité, leurs angoisses ou leurs besoins, des gens qui, en un sens, se comportent bien mieux en tant que parents qu'ils ne pourraient le faire en tant qu'amants. Avec les meilleures intentions du monde, ils créent ainsi une illusion lourde de conséquences dans la mesure où elle ne nous prépare aucunement aux efforts indispensables à l'équité et donc à la réussite de nos futures relations amoureuses. » (p. 101)
5. « La nouvelle pornographie combinerait l'excitation sexuelle avec des idéaux altruistes. Les catégories bestiales habituelles, les synopsis rabâchés, les personnages au langage incohérent feraient place à des images et à des scénarios suggestifs, fondés sur des qualités comme l'intelligence (des gens en train de lire ou de feuilleter des livres dans une bibliothèque), la gentillesse (des gens pratiquant le coït buccal mutuel en montrant un visage attentionné et bienveillant) ou l'humilité (des gens timides ou surpris avec une expression de pudeur confuse). Nous n'aurions plus ainsi à faire le choix douloureux entre l'humanité et la sexualité. » (pp. 117-118).
6. « Sans doute un engagement beaucoup plus circonspect que les platitudes habituelles, voire délibérément pessimiste [augmenterait les chances de fidélité mutuelle]. Par exemple : "Je jure de n'être déçu(e) que par toi et toi seul(e). Je jure de faire de toi l'unique confident(e) de mes regrets et de ne pas les claironner dans mon entourage en ayant de multiples liaisons et en menant une vie de don Juan (ou de Messaline). J'ai passé en revue les différentes options qui s'offrent aux adultes pour être malheureux, et c'est avec toi que je m'engage à l'être." Voilà le genre de compromis, assez peu romantique, convenons-en, que devraient peut-être signer les couples devant l'autel ou à la mairie. » (p. 132)
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