Roland Barthes l'avait déjà dénoncé, avec beaucoup plus d'ironie, de subtilité et beaucoup moins d'acrimonie : dans sa misère et sa sclérose, le discours amoureux est particulièrement inadapté à décrire la complexité de l'amour. Stéphane Rose, dans ce long pamphlet ou court témoignage, opine et proclame que ledit discours amoureux possède un biais normatif et prescriptif fort en faveur du couple et en défaveur du célibat – le couple, faut-il préciser ?, étant entendu comme hétérosexuel, patriarcal, patrimonial, fondé sur la sexualité reproductive et monogame. Pour cet auteur de quarante-cinq ans, homme, hétérosexuel, sans doute bien portant, professionnellement épanoui, ne désirant pas d'enfant, ayant déjà expérimenté la vie de couple ainsi que de multiples autres formes de relations amoureuses conformément à l'autorisation voire à l'encouragement implicite que les sociétés néolibérales contemporaines octroient aux individus présentant son profil sociologique, la conjugalité est liberticide, le mariage est normalement voué à l'échec et l'exercice de sa sociabilité affective sans engagement doit être défendu de haute lutte...
Ce témoignage, qui eût été sans doute plus intéressant s'il était venu d'une femme, semble éluder avec soin la question de l'origine d'un tel biais : si une fugace et très approximative référence aux archétypes de Jung constitue l'excipit – et il ne me paraît pas du tout certain que le couple corresponde à la notion d'archétype – n'aurait-il pas simplement suffi de constater notre l'héritage culturel religieux, ou bien de jeter un coup d’œil du côté de l'existence, partout dans le monde, de normes sociologiques, anthropologiques et juridiques sur la filiation, ou encore de rappeler les conséquences du concept d'« investissement parental » issu de la biologie évolutionniste ? Le couple, c'est la norme de la réglementation sociétale de la filiation : comme tel, il est défendu, et pourtant bien moins qu'il ne l'est ailleurs et ne l'a été de tout temps.
Oui, le langage décrivant les comportements amoureux est figé – encore qu'on puisse avec intérêt se pencher sur toutes les tentatives récentes de créer des néologismes remettant en question le « totalitarisme amoureux » tels que : « polyamour », « aromantisme », « asexualité », « demisexualité », etc. etc. ; oui, ces remises en cause n'ont absolument pas la hardiesse du libertinage d'antan ; oui, nombreuses sont les métamorphoses des pratiques de rencontre amoureuse liées à l'Internet (je crois que l'auteur a d'ailleurs commis un autre ouvrage sur ce sujet). Mais, de grâce, cessons fourguer le désir de « casser le logiciel conjugal » comme s'il s'agissait d'un acte éminemment transgressif voire révolutionnaire, à l'époque et dans le cadre socio-économique qui provoquent « l'amour liquide » ! C'est l'inverse qui est vrai.
Cit. :
1. « Les humains qui font et refont leur vie sont peut-être les mêmes qui la gagnent. Refaire sa vie, gagner sa vie, réussir sa vie, rater sa vie... Il y a derrière ces expressions l'idée que la vie n'est pas acquise, que le corps et l'esprit qui s'animent chaque jour ne suffisent pas à définir la vie. » (p. 55)
2. « Une maîtresse m'a confié un jour sur un coin d'oreiller qu'elle papillonnait sexuellement d'un partenaire à l'autre en attendant de trouver "l'amour de sa vie". Curieux, je lui demande comment elle définissait ce fameux amour. Elle m'a répondu : "Je ne sais pas le définir, mais quand je le rencontrerai, je le reconnaîtrai, je saurai que c'est lui, et il me reconnaîtra aussi."
Je ne connais qu'un type de personne capable d'en reconnaître une autre avec un tel instinct : une maman. » (p. 89)
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