Guides et inspirateurs.
Erudit et fervent, fin prosateur, Gabriel Matzneff dresse dans « Maîtres et complices » bien davantage qu’une bibliothèque idéale. Il dessine un parcours intellectuel et spirituel architecturé sur les arcs-boutants inébranlables des auteurs du passé qui « du fond de leurs urnes, gouvernent encore nos âmes » [Byron, Manfred]. Les auteurs affectionnés titrent les chapitres chronologiquement et s’ancrent dans la Rome antique pour enjamber les siècles avec Montaigne, La Rochefoucauld, Sade, Casanova, Chateaubriand, Byron, Schopenhauer, Baudelaire, Dostoïevski, Flaubert, Nietzsche, Wilde, Chestov, Montherlant, Cioran, etc. et tant d’autres écrivains récurrents, en fil d’Ariane. Gabriel Matzneff n’inventorie pas, il s’immerge et s’expose sans pour autant tirer la couverture. Son discours est donc exempt d’encaustique et de poussière bien que son substrat puisse faire regimber le lecteur contemporain souvent bien éloigné des références classiques mises ainsi sur un piédestal. Pourtant, jamais Gabriel Matzneff n’est outrecuidant, bien à rebours. Il se fait passeur, avec élégance et amabilité, dialoguant avec ses auteurs « compagnons de route » (et de doute) tout en s’adressant à son lecteur avec déférence, sans démagogie.
Si l’œuvre conséquente de Gabriel Matzneff peut légitimement ébranler quand elle justifie la pédophilie (l’écrivain semble tendre avec quelque délectation secrète les verges pour se faire cingler), elle ne peut occulter la richesse du propos sertie dans les brocarts d’une langue souple et chatoyante. « Maîtres et complices » est un bréviaire pour les âmes engluées dans la tragédie de la vie : « Le dernier acte est sanglant… on jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais » [Pascal] mais c’est sans pathos que Matzneff tire ses révérences, mêlant brillamment la joie d’être à la pâte existentielle, égayant la catastrophe à venir avec un appétit de vivre féroce, cuisinant magistralement en accommodant les restes.

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