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[La troisième oreille | Jean-Yves Bras]
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apo



Sexe: Sexe: Masculin
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Messages: 1965
Localisation: Ile-de-France
Âge: 52 Poissons


Posté: Mer 12 Juin 2019 10:29
MessageSujet du message: [La troisième oreille | Jean-Yves Bras]
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[Préface personnelle et peut-être prolixe. Depuis longtemps, je pose à mes amis musiciens et à quelques livres de musicologie deux questions, sans obtenir de réponse satisfaisante – dans celui-ci, quelques bribes de réponse me sont cependant parvenues – et hélas, je crains que ma frustration par rapport à ces livres se reflète dans une attention trop sélective au profit de ma propre problématique et dans ma notation sans doute trop sévère. Mes questions : 1. Qu'est-ce que j'aime dans la musique que j'aime ? 2. Pourquoi, contrairement aux autres œuvres d'art qui m'indiffèrent si je ne les aime pas, je manifeste des réactions de profonde intolérance, de rejet physique, de refus même intellectuel vis-à-vis des genres et morceaux musicaux que je n'aime pas ? J'ai eu la chance (générationnelle) d'avoir été très réceptif – parce qu'à peine post-adolescent – à la lecture, dès sa parution (1993), de l'essai atypique de Claude Lévi-Strauss, Regarder écouter lire ; il a donné alors à ma première question une saisissante réponse, étonnante, éblouissante, conforme au paradigme structuraliste (comme je le découvrirais plus tard) : peut-être j'éprouve la nostalgie incurable d'un approfondissement ou de « variations sur le thème » de cette réponse, ou bien d'une autre plus conforme à ma maturité survenue...]

Le sous-titre de cet essai promet un essai sur l'écoute, sujet peu abordé en musicologie, et de surcroît des recettes théorico-pratiques visant à en améliorer la qualité. Autre caractéristique sympathique : il est rédigé sous forme de dialogue avec un personnage imaginaire, Mademoiselle Croche, ce qui promet une prose primesautière et abordable au non-spécialiste que je suis. Je ne dirais pas que les deux promesses n'ont pas été tenues, mais peut-être dans une moindre mesure que je ne l'espérais. À essayer de le « soupeser », l'ouvrage contient surtout de l'histoire de la musique savante occidentale, en deux formes qui parfois comportent des répétitions – notamment au sujet du « problème » de la musique contemporaine, particulièrement la musique atonale des années 1945-1965.
Après un chapitre introductif sur « Les langages de la musique », le « gros morceau » est une « Histoire des éléments de la musique », autrement dit des « outils du compositeur » : le rythme, la mélodie, la polyphonie, l'harmonie, le timbre, l'intensité, la localisation. Ce chapitre, à lui seul, compose presque un tiers du livre ; l'auteur prend toutes les précautions possibles pour le rendre digeste, car il redoute un excès de technicisme. Personnellement, j'ai trouvé que c'était incontestablement le plus intéressant, grâce à sa mise en perspective historique à laquelle je n'avais pas pensé, et il ne m'a semblé d'un abord aucunement ardu. Ensuite, après un interlude sur la différence entre « entendre » et « écouter », l'auteur aborde les « outils de l'écouteur », dans deux chapitres : « V : Que faut-il entendre par écouter », composé de 13 étapes pour conscientiser l'écoute, et de : « VI : Écouter comment ? », composé d'un décalogue de suggestions pour agrémenter ladite écoute. Je reproche au premier de commencer par enfoncer des portes ouvertes et de se terminer par des étapes quasi inatteignables sans avoir à sa disposition la partition de l’œuvre que l'on écoute et, bien entendu, la compétence pour savoir la lire. Je reproche au second d'être bavard et décousu. Ensuite, après un second interlude - « VII : Du mystère de la trinité : compositeur, interprète, auditeur » - arrive le second « plat de résistance » : « VIII : Histoire de l'écoute ». De nouveau, l'intérêt se ravive, d'autant que cette histoire est aussi celle des conditions de l'écoute, des comportements des auditeurs, des conditions matérielles de la réception musicale – une question qui a déterminé aussi la figure et la liberté du compositeur, mais qui, abordée depuis la perspective du public, est très originale. La nature exceptionnelle du XXe s., pour les mélomanes aussi, se décline en fait en une multiplicité d'éléments, dont l'enchevêtrement mériterait peut-être d'être souligné, et dont un seul consiste dans la fameuse réflexion de Walter Benjamin sur la reproductibilité technique de l’œuvre d'art, démultipliée exponentiellement ces dernières années par les ressources presque inépuisables d'Internet : « Le public d'avant-hier se cantonnait à écouter avec constance sa centaine de 33 tours, celui d'hier puisait avec délectation dans son millier de CD, celui d'aujourd'hui moissonne librement dans des bases de données de plusieurs millions de fichiers pour constituer sa playlist. Il butine, faisant son miel de toutes fleurs. » (p. 271).
En conclusion, compte tenu surtout des deux grands chapitres historiques, je constate que le thème de l'écoute n'est peut-être pas aussi prépondérant qu'il semblerait, que son côté « manuel d'instruction » en particulier laisse à désirer, que le technicisme du livre n'est pas du tout gênant – grâce aux annexes, aux très nombreuses notes de bas de page, à des tableaux récapitulatifs – ; la forme du dialogue contribue à égailler la prose, mais elle possède l'inconvénient de favoriser les redites et de ne pas empêcher une certaine dispersion du propos – en cela, la fiction du dialogue spontané est totalement réaliste ! - dans ces conditions, cette lecture enseigne beaucoup et le fait agréablement.


Cit. :

1. « […] Marc-Antoine Charpentier (1645-1704) a même rapporté dans un tableau ce qu'il appelle "l'énergie" des modes les plus courants :

Ut majeur / Gai et guerrier // Ut mineur / Obscur et triste
Ré majeur / Joyeux et très guerrier // Ré mineur : Grave et dévot
Mi bémol majeur / Cruel et dur // Mi bémol mineur / Horrible et affreux
Mi majeur / Querelleux et criard // Mi mineur / Efféminé, amoureux et plaintif
Fa majeur / Furieux et emporté // Fa mineur / Obscur et plaintif
Sol majeur / Doucement joyeux // Sol mineur / Sérieux et magnifique
La majeur / Joyeux et champêtre // La mineur / Tendre et plaintif
Si bémol majeur / Magnifique et joyeux // Si bémol mineur / Obscur et terrible
Si majeur / Dur et plaintif // Si mineur / Solitaire et mélancolique » (cit. p. 44)

2. Tableau historique des harmoniques :

« Accord : Octave / Période : Antiquité / Composition : Do-do / Style : Monodie
Accord : Quinte, quarte / Période : Moyen Âge / Composition : Do-sol / Style : Contrepoint
Accord : Tierce / Période : XVIe s. / Composition : Do-mi-sol / Style : Polyphonie
Accord : Septième mineure (4 sons) / Période : XVIIe s. / Composition : Do-mi-sol-siЬ / Style : Harmonie.
Accord : Neuvième majeure (5 sons) / Période : XIXe s. / Composition : Do-mi-sol-siЬ-ré / Style : Wagner.
Accord : Onzième augmentée (6 sons) / Période : XXe s. / Composition : Do-mi-sol-siЬ-ré-fa# / Style : Debussy.
Accord : Treizième augmentée (7 sons) / Période : XXe s. / Composition : Do-mi-sol-siЬ-ré-fa#-la / Styles : Messiaen, Jazz.
Accord : Harmonie par quartes / Période : XXe s. / Composition : Do-fa-siЬ-miЬ-laЬ-réЬ / Styles : Scriabine, Schoenberg, Jazz. » (p. 71)

3. « Même dans les conservatoires, on apprend surtout à devenir instrumentiste, ou bien un compositeur si l'on suit les classes d'écriture. Bref, il s'agit d'apprendre à "produire" de la musique et de former des étudiants à leur futur métier. Ce n'est qu'assez récemment qu'une formation concerne l'écoute. Il aura fallu que l'épreuve du "commentaire d'écoute" s'insère dans des formations "diplômantes" pour qu'enfin cette discipline soit véritablement prise au sérieux. » (pp. 197-198)

4. « Le XXe siècle aura été une succession de ruptures qui, à chaque fois, font question et renvoient l'auditeur à lui-même. Il n'y a plus de langage (tonal) commun, mais un plurilinguisme né du farouche individualisme de chaque compositeur. Ce plurilinguisme réclame un effort d'adaptation de la part de l'auditeur, un peu comme s'il découvrait chez chaque compositeur une langue étrangère. Plus qu'à toute autre époque, une œuvre d'art du XXe siècle doit bien souvent être "préparée" pour être assimilée.
Le refus de cet effort risque de détourner le mélomane de la musique de son temps et l'engage à se réfugier vers des styles plus rassurants. Ce phénomène explique, en partie, l'intérêt qu'un grand nombre d'interprètes et de mélomanes portent désormais à la musique baroque depuis les années 1970. Situation catastrophique pour la musique contemporaine et qui creuse l'écart entre la sphère de la création et la société environnante. » (p. 212)

5. « Pierre Boulez a dit à peu près la même chose que vous : "Le jeu de la reconnaissance, les perspectives de l'écoute, voilà qui fait le prix et la réussite d'une œuvre, qui crée en nous à la fois le sentiment d'une vérité immédiate du texte et d'une vérité enfouie plus profondément, que nous ne sommes pas sûrs de saisir dans sa totalité." » (p. 282)

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Swann




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Posté: Sam 15 Juin 2019 8:53
MessageSujet du message:
Répondre en citant

C'est très intéressant. Un mien neveu voudrait s'orienter vers la musicologie, il est aussi instrumentiste et je crois que je vais lui mettre ce livre entre les mains...
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Auteur    Message
apo



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Posté: Mar 18 Juin 2019 21:20
MessageSujet du message:
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Oui, il pourrait aimer, mais pourquoi pas plutôt le Lévi-Strauss ?
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