Ombres portées (disparues)
Avant même d’entamer la lecture de l’essai de l’historien d’art Ernst Hans Gombrich (1909-2001) sur la représentation des ombres portées dans l’art occidental accompagnant l’exposition à la National Gallery en 1995 centrée sur cette thématique, l’ombre est définie en exergue par le peintre toscan Filippo Baldinucci dès 1681 selon trois degrés, l’ombre proprement dite, répartie sur un corps opaque, la pénombre, passage entre le clair et l’obscur et enfin l’ombre portée, projetée par l’objet éclairé. La compréhension de ces gradients oblige déjà à exercer son regard à l’entour de soi et dans ce balayage optique effectué presque à la sauvette, le regard semble s’éduquer et s’ouvrir au monde. Puis Ernst Gombrich rappelle l’obligation de sélectionner dans la pléthore d’informations celles qui vont constituer notre perception du monde visible : « […] il ne faut jamais présumer que les artistes n’ont pas vu ce qu’ils n’ont pas peint ». En questionnant la place accordée aux ombres portées dans la peinture occidentale (les artistes chinois ne représentent pas les ombres projetées), l’auteur espère aider le lecteur à voir l’infinie gradation de la lumière et à le pousser à dénicher les ombres dans les toiles du passé. Même si les ombres sont inféodées aux lois de l’optique, elles bougent, se défilent et restent, au demeurant, difficilement saisissables bien qu’elles manifestent la matérialité d’un corps. Après un bref historique, l’auteur commente les tableaux exposés en fonction de l’utilisation des ombres. Les peintures sont reproduites en couleur et des détails sont parfois agrandis. Défilent des œuvres remarquables de Robert Campin, Hans Holbein le Jeune, Antonello de Messine, Rembrandt, Le Lorrain… Il est difficile de ne pas être touché par la grâce émanant de la Vierge à l’Enfant de Fra Angelico quand la lumière oblique projette l’ombre fine et superbement dégradée des chapiteaux en arrière-plan. L’essai d’Ernst Gombrich demeure un enchantement auquel concourt la nouvelle impression soignée des éditions Gallimard.
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