En 2009, lorsque fait rage la controverse sur l'identité nationale, le journaliste critique musical et auteur perd son passeport, ou en subit le vol. Selon les nouvelles procédures, étant le fils d'un père né à Constantinople (Empire ottoman) et d'une mère née à Budapest (déjà plus Empire Austro-hongrois et pas encore Royaume de Hongrie), bien que tous deux naturalisés français avant sa naissance [Qui se souvient-il aujourd'hui du statut de « [sujet ottoman] protégé français » transformé collectivement en nationalité française et déchu pour beaucoup par Vichy quelques années plus tard ? Peut-être pas même exactement l'auteur...], le renouvellement dudit document – qui n'est plus qu'un titre de voyage – requiert désormais dans ce cas-là une validation de nationalité par le « Pôle de nationalité française ». Et les procédures procédurières conformes aux buts affichés du Ministère de l'Identité-gna-gna sont bien sûr compliquées à souhait, les pièces justificatives opportunément multipliées à des fins vexatoires.
Deux effets reconnus chez la victime : 1. que sa nationalité française ne soit plus jamais, mais alors jamais plus, quelque chose de commun, propre aux citoyens du commun et allant de soi ; 2. que sa généalogie identitaire, pour ainsi dire, lui ayant été indifférente jusqu'alors, une affaire des parents et grands-parents en somme, se transforme en son propre destin. Un troisième effet non reconnu tout de suite par l'auteur, mais immédiatement perceptible par le lecteur : des sentiments de colère (justifiés) contre un certain nombre d'emblèmes d'une appartenance (nationale, politique, professionnelle) désormais, ou depuis toujours (place familiale), mis en question.
Ce qui m'a dérangé dans la lecture, c'est que ces sentiments se sont exprimés au détriment d'une analyse posée en fructifère de l'auto-perception de son identité, qui, on le sait, constitue in fine le critère le plus déterminant de l'identité elle-même : proximité ou rupture avec le sentiment d'appartenance de son père et de sa mère ? étrangeté ou francité venant d'une jeunesse passée dans un hameau de la Chevreuse, mais élevé par une « gouvernante » ne parlant que le hongrois ? éloignement ou rapprochement dans la fratrie (composée aussi d'un demi-frère aîné) au sein d'une communauté familiale ? et la transmission familiale antérieure et postérieure ?
Et surtout : que de désordre dans l'évocation des parents, des souvenirs d'enfance, que de non-dits surtout sur le père, qui devait être à la fois le personnage-clé de cette aventure identitaire et celui dont les aperçus biographiques (guère davantage que deux pages du journal intime, reproduites vers les deux tiers de l'ouvrage...) sont objectivement, de loin les plus intéressants ! Quel intérêt que le snobisme de la mère et sa proximité avec André Malraux (sauf preuve du contraire, c-à-d. qu'il ait eu un quelconque impact identitaire sur le fils) ? Quel intérêt à dénigrer les « camarades » Emmanuel Carrère et Frédéric Beigbeder, à rabaisser l'ensemble de la littérature et de l'art contemporains :
« Il faut trouver ce qu'on appelle, dans la publicité et l'art contemporain (c'est pareil), un "concept" : seuls les auteurs qui ont le don de la simplification sont des "winners" du monde d'aujourd'hui. » (pp. 91-92) ?
Quel intérêt à enchaîner sur Nicolas Sarkozy, dont le destin identitaire ne sera jamais comparable au sien, malgré le même petit village de Szolnok, et d'affirmer (au demeurant, l'on pourrait même être d'accord) que « les électeurs ont choisi en 2007 une sorte de Michel Drucker d'un genre teigneux, comme ça, pour voir. » (p. 96) [formule qui fait d'une pierre deux coups, voire trois, ça va sans dire...] ? Quel intérêt ?
Et le copain qui fait, enfant, fait des expériences chimiques avec les explosifs ? Et l'opération du cœur ? Et le lit de mort de la mère ? Je ne vois vraiment pas...
Oui, le genre du récit autobiographique, pour avoir de la valeur pour le lecteur et surtout pour dénoncer quelque chose qui nous tient à cœur, se doit de dépasser le stade de l'exutoire. Heureusement que l'auteur a demandé pardon à sa maman dans la préface. Mais si je veux lui rendre sa mauvaise humeur, et en ce moment j'ai déjà décidé de le faire parce qu'il m'a déçu et fait perdre du temps, je ferai comme lui, je sortirai des noms : Primo Levi, d'abord, et Elias Canetti, ensuite ; je finirai même par ma dernière flamme : Banine – ni « concept » ni simplification.
Cit.
« Les populations de l'autre rive [du fleuve que représente le boulevard Barbès] montent jusqu'à nos berges : il y a beaucoup d'Africains, de Maghrébins, de Sri-Lankais, que sais-je encore. Sur les trottoirs du boulevard, des jeunes femmes voilées en quantité.
J'entends beaucoup parler arabe. Autour de moi, je ne sais à vrai dire qui est français et qui ne l'est pas. Mais je sais qui a quelque chose et qui n'a (presque) rien.
Ce n'est pas agréable – c'est même souvent imbuvable –, quand on a quelque chose, d'être entouré de gens qui n'ont rien, ou presque. » (pp. 112-113)
« En ce temps-là [celui de son père], on pouvait, et parfois même il fallait effacer et nier ses origines : nouveau nom, nouvelle identité, nouvelle vie. On pouvait dissoudre le passé, puisque l'avenir était tout. Aujourd'hui, c'est l'inverse, notre pays a rétréci. Il n'y a plus d'avenir, juste des origines. » (p. 128)
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]