Cette lecture constitue pour moi un petit approfondissement de "Philtre d'amour". Et, pour commencer, elle m'apporte une précision théorique sur l'ethnopsychiatrie :

"[...] je prétends pour ma part qu'en ne regardant que les pathologies on n'aperçoit qu'un dixième du problème. Car, lorsqu'il existe un désordre dans une culture donnée, il s'accompagne toujours d' 'êtres' (par exemple les jnoun), d' 'objets' (les s'hur), mais aussi de professionnels (les talebs, les fkih, les cheikh), de 'réseaux de professionnels' (zaouias, congrégations, couvents, lieux d'initiation), d'une élaboration du vocabulaire et de la langue, si bien que le désordre seul devient incompréhensible. C'est pourquoi je suivrai volontiers Ian Hacking dans sa proposition de considérer une 'niche écologique' plutôt qu'un syndrome. Djinn, c'est une 'niche écologique'." (p. 43)

D'abord la langue. L'auteur se penche sur le champ sémantique recouvert par la variété de termes que la langue arabe (ainsi que l'hébreu) utilise pour désigner les entités surnaturelles susceptibles de se "présentifier" dans un être humain : ce vaste champ construit les associations mentales que le locuteur formule sciemment ou inconsciemment en relation avec ses symptômes. La partie intitulée "Écologie des 'jnoun'" montre, en se fondant continuellement sur l'observation clinique d'un nombre limité mais suivi de cas, l'identité, les modalités de fonctionnement, les intentions attribuées à ces "présences". La seconde partie intitulée "Commerces", avec la même méthode, voire peut-être un peu plus de clinique, décrit les effets de certains "envoûtements".

J'ai particulièrement apprécié qu'il y ait parmi les cas celui d'une Française d'origine, jeune retraitée souffrant, depuis de nombreuses années, de soudains et immotivés accès de pleurs. Je vais rapporter un petit extrait de sa première consultation avec l'auteur :

« C'est ainsi que je lui dis : "Vous venez de l'Anjou, vous connaissez nécessairement un homme là-bas qui sait 'faire des trucs'. Et elle saisit la balle au bond : « Je ne crois pas à ces 'machins'.
Moi non plus, je n'y crois pas – doit-on croire à l'existence des volcans, des autobus, à la nocivité des morsures de serpent ? On n'y croit pas ; on constate leur existence... Alors, écoutez-moi ; allez le voir, cet homme... » (p. 66)

Enfin, une annexe par Vincent Crapanzano, traduite de l'américain, constitue un portrait plus détaillé des jnoun (pluriel de djinn), spécifiquement marocains, qui se conclut par les détails de quelques-uns de ces être connus nommément, tous des jnoun femelles, avec un degré de précision qui les apparente aux divinités grecques de l'Olympe, jusque dans la transcription des invocations qui leur siéent.

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