Une évidence m'a sauté aux yeux, au cours de ma lecture de "Sympathy for the Devil", de Kent Anderson. La même que celle ressentie lors de ma découverte de cet auteur avec son recueil "Pas de saison pour l'enfer".
Cette évidence, c'est son exigence de sincérité.
Il laisse ici la parole à Hanson -mais on devine, à la lumière de la biographie de l'écrivain, qu'Hanson est son alter ego-, au moment où, étudiant, il quitte l'université pour combattre au Vietnam dans Les Forces spéciales (les fameux "bérets verts").
Sur place, le jeune homme affronte une dure réalité, que les journaux télévisés qui retracent le conflit occultent sciemment, désireux d'épargner des citoyens nourris au patriotisme anti-rouges et convaincus du caractère noble et nécessaire de cette guerre lointaine.
Le monde qu'Hanson découvre est un monde cynique et sanglant, où l'on oublie bien vite le caractère policé de la vie occidentale, où l'on piétine chaque jour les accords de Genève. On y tue des civils et on y frappe des femmes, avec les encouragements à peine voilés d'une administration militaire corrompue.
Dans la jungle vietnamienne, les idéologies ou l'héroïsme ne font pas long feu. Seuls comptent l'instinct de survie, et votre propension à éliminer froidement le plus d'individus possible. Gouvernés par la peur, puissante, qu'ils refoulent -ou pas- à coups de drogues généreusement distribuées par les autorités, dopés par la violence ambiante et l'omniprésence de la mort, les soldats se métamorphosent en machines à tuer. Pas par haine ou par conviction, mais parce que c'est le seul moyen de ne pas y laisser sa peau.
La volonté de Kent Anderson de s'exprimer sans censure, en éradiquant toute tentation moralisatrice, rend son roman crédible, et lui donne une dimension quasi palpable. Car à ce souci d'authenticité s'ajoute celui d'une forme d'exhaustivité descriptive, qui consiste à détailler non seulement la manière dont se déroulent les événements, mais aussi toutes les composantes de l'environnement dans lequel se situe l'action, de façon imagée et précise. Ainsi, les embuscades comme les scènes du quotidien au campement, les méthodes d’entraînement et de combat sont minutieusement dépeintes, mais pas seulement : les sons et les odeurs sont omniprésents, qu'il s'agisse de ceux du matériel de guerre, de la nature environnante, ou de la nourriture vietnamienne qui impose ses forts relents.
J'ai retrouvé dans ce roman l'écriture tantôt crue et percutante de l'auteur, notamment lors des échanges entre ses héros, et tantôt étrangement (compte-tenu du fond du récit) poétique. Mais c'est à l'image de son personnage principal, capable de tuer de sang-froid avec un recueil de Yeats dissimulé dans son uniforme...
"Sympathy for the devil" est un texte glaçant, où l'absence de tout moralisme ramène la réalité de la guerre à sa véritable nature : un non-sens barbare.
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