Appuyer là où ça fait mal, braquer les projecteurs sur les plaies de notre belle société moderne, évoluée... Telle semble être la marotte d'Antoine Chaînas, quoique le terme a un côté ludique et un peu péjoratif qui ne reflète pas vraiment le travail de cet auteur implacable et exigeant.
C'est cette fois aux dérives sécuritaires, alimentées par le fossé grandissant entre les diverses catégories sociales de la population, qu'il s'attaque. "Pur" dépeint un monde dans lequel la fracture sociale et l’incommunicabilité entre les communautés semblent être parvenues à un point de non-retour. Ceux qui détiennent l'argent et le pouvoir imposent leurs lois, et vivent en retrait d'une réalité qui leur est de plus en plus étrangère, dans l'indifférence tout aussi glaçante de citoyens qui, par lâcheté ou simple commodité, préfèrent se voiler la face.
Et pour donner plus de force à son propos, il crée un contexte inspiré du réel, dont il amplifie certains éléments. Une caricature assez subtile pour lui permettre de rester dans le domaine du plausible, voire d'un futur probable -?-, et c'est bien ce qui est effrayant...
Nous sommes dans une commune du sud-est de la France. Des résidences luxueuses, aseptisées, et ultra sécurisées, abritent, sur des critères d'admission draconiens (être riche ne suffit pas, il convient aussi de montrer face blanche...), les membres d'une élite qui y vit en quasi autarcie. Les groupuscules d'extrême droite, très actifs, écument à la nuit tombée, avec la complicité tacite de la police municipale et des élus locaux, le centre-ville, où ils s'adonnent au bastonnage en règle de tout individu au faciès suspect.
A l'approche des élections municipales, la tension est à son comble : plusieurs meurtres de maghrébins sont imputés à celui que l'on surnomme dorénavant "le sniper de l'autoroute", sans que se profile le moindre début de piste. A cela s'ajoute l'accident qui vient de coûter la vie à une jeune et riche femme blanche, dont le mari, qui conduisait le véhicule, est persuadé que leur sortie de route est le fait de deux arabes croisés précédemment sur une aire de repos.
Patrick Martin, le mari en question, est un personnage froid et sûr de lui. Son travail consiste à élaborer les formulaires qu'utilisent les résidences privées pour sélectionner leurs richissimes occupants, la dimension ségrégationniste de sa tâche ne lui posant aucun cas de conscience. Nous assistons à la macabre croisade qu'il entreprend dans le but de punir ceux qu'il pense coupables de la mort de son épouse, tout en suivant en alternance deux autres personnages...
...Julien, adolescent, habite les Hauts Lacs, une de ces enclaves où les nantis se barricadent, entouré d'un père manipulateur et tyrannique, et d'une mère que les anti-dépresseurs rendent perpétuellement absente.
...L'inspecteur Durantal, en fin de carrière, est membre de l'équipe chargé des enquêtes sur le sniper, et la mort de la femme de Patrick. Il détonne, parmi la galerie d'individus cyniques, cruels et ambitieux brossée par l'auteur. L'extrême perméabilité de cet homme sensible à la souffrance et aux malheurs des autres s'est traduite par une obésité devenue au fil du temps incapacitante.
La succession des chapitres dédiés à ces héros disparates, ainsi que l'écriture directe et précise d'Antoine Chaînas, font de "Pur" un roman à l'intrigue efficace, à la lecture duquel on ne ressent pas cette lourdeur ambiante qui fait d'un "Versus", par exemple, un texte étouffant.
Pour autant, l'auteur nous livre une fois de plus un titre au propos désespéré, sa clairvoyance nous amenant à nous interroger sur les limites et les dangers de ces fléaux -malheureusement- d'actualité : la montée des extrémismes, et la tentation du repli sur soi qui en découle.
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