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[Le chantier | Mo Yan, Chantal Chen-Andro]
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bertrand-môgendre



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Posté: Dim 30 Mar 2014 20:33
MessageSujet du message: [Le chantier | Mo Yan, Chantal Chen-Andro]
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Parler d’un livre sans raconter son histoire, c’est possible avec cet auteur glorifié par ses pères.

Mo Yan est de la génération qui a traversé et subit avec difficultés cette Révolution Culturelle abjecte, faisant suite à la misère du Grand Bond en Avant qui lui-même avait succédé à la réforme agraire.
Mo Yan est de la génération qui découvre avec bonheur une autre forme du communisme, la décollectivation, genre de dictature démocratique du peuple, promulgué par Deng Xiaoping avec par exemple la mise en œuvre de la Révolution Verte. Nourrir la population citadine qui s’accroît de façon exponentielle malgré la mise en place d’une politique de l’enfant unique.
Mo Yan a vu naître la révolte des intellectuels et peut-être même y participer du bon côté, car il était engagé dans l’armée certes, mais dans les télécommunications. Il a vu naître et s’installer l’économie socialiste de marché.
En une vie, l’auteur a connu des changements de société en profondeur auxquels il était partie prenante.

Malgré cette ouverture, cette liberté d'expression à consommer presque sans modération, il n'en demeure pas moins que Mo Yan reste sur les expectatives, littérairement parlant. Ses écrits restent non engagés, car suffisamment mielleux pour ne pas être censuré comme Jia Pingwa dans la Capitale déchue,
suffisamment discret dans la description de la misère pour ne pas connaître l’interdiction en République Tchèque affligée à Kundera pour son roman La plaisanterie, comportant suffisamment de talent pour utiliser l’écriture châtrée consistant à ne pas employer les mots et qualificatifs interdits tel que le dénonce Murong Xuecun (Oublier Chengdu titre de son roman phare) dans son discours supprimé lors de la remise de son prix « la littérature du Peuple ».

Voilà toute l'ambiguïté de cet écrivain intelligent qui se réfugie dans le passé pour éviter la censure. Il reste dans le rang.
Et c'est, à mon avis, ce qui transpire à travers les lignes de ce roman.
Des faits, des situations, des personnages cataloguent Mo Yan dans sa fonction d'ethnologue ou plus précisément d’éthologue. Il utilise le format carte postale « noir et blanc » version témoignage, se rapprochant parfois de la mouture filmée à la Raymond Depardon dans la trilogie « profils paysans ».
Je lis, regarde et m’étonne du fossé qui me sépare de la vie des personnages dont l’obsolescence programmée ne larmoie pas sur la partition de la complainte nostalgique.
Ses récits se veulent justes, documentés, précis.
Mo Yan utilise l’intensité des mots tels que cruauté, misère, faim, galère ainsi que ceux correspondant aux vraies valeurs mêlant l’amitié, l’amour, la haine.
J’ai retrouvé la même ambiance, les mêmes décors, presque les mêmes personnages à la lecture de le Radis de Cristal.

La façon dont Mo Yan élabore son récit de fiction le propulse dans la catégorie des dystopies, ou contre utopies, genre de société idéaliste virant au cauchemar.
C'est déprimant à souhait.
Heureusement, l'auteur utilise de temps en temps une forme littéraire dynamique à savoir, le recoupement de deux histoires mises en parallèle, par exemple le meurtre d'un chien avec l'avancée du rouleau compresseur qui relie les campagnes les plus reculées avec la civilisation moderne ; ou, la profanation d'une tombe voyant la résurrection d'une défunte fraichement enterrée et la mise à mort d'un homme condamné à rester cloué au lit jusqu'à la fin de ses jours. Voilà deux maigres échantillons qui permettent de bousculer la monotonie ambiante.

L’auteur est à découvrir certes, mais ne reflète pas, à mon idée, la pensée actuelle et moderne du peuple chinois.

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