Fragments autobiographiques que les mots révèlent comme si les souvenirs de Thierry Laget étaient inscrits dans leur mémoire, l’auteur chemine dans ses phrases à travers des provinces qu’il a connues et aimées, de l’Auvergne à la Touraine, de la Toscane à l’Angleterre. A l’espace s’associe la langue, le français mais aussi l’auvergnat parlé par le grand-père, le latin admiré notamment grâce à Catulle, le poète de la jeunesse et du baiser, l’italien, l’anglais.
La phrase est travaillée, le mot choisi et l’attention du lecteur sollicitée car le style est soutenu, sans préciosité. Le vocabulaire riche et précis s’insère dans une syntaxe fluide. Il ne faut par perdre le fil car tout le sel se perdrait et la dernière phrase qui termine chaque court chapitre n’entaillerait rien d’autre que du vide alors qu’elle est une lame vibrante, une chute alentie pour dire la vacuité des existences. Ainsi, dans le temps de l’attente propre à l’enfance, le narrateur conclut son premier chapitre ouvrant le livre de sa vie : « […] l’alexandrin s’écrit sans ratures, inspiré par le dénuement de ces heures dépensées en pure perte, d’un or qui ne vaut rien, d’une bille lancée d’un bord à l’autre du plateau, asservie au pur mouvement du monde, aux lubies d’un dieu qui décharne l’or d’un après-midi et finit par le jeter aux chiens de l’oubli ». Dans le second chapitre, l’auteur confronte ses souvenirs d’une maison habitée des années durant dans son enfance et qu’il en visite la coquille maintenant vide en tant que simple acheteur potentiel avec un agent immobilier ignorant tout des affinités passées. Le troisième chapitre consacré au patois auvergnat est poignant. Thierry Laget reçoit le dictionnaire général auvergnat-français de Karl-Heinz Reichel et y retrouve son grand-père. Toute une tendresse enfouie émerge à nouveau : « […] ils [les vieux Auvergnats] restaient assis pendant des heures sur la chaise qu’ils avaient traînée dans l’ombre d’un cerisier, à contempler la transparence de l’air, à marcher dans des pensées lointaines dont ils ne sortaient que pour lancer la remarque cinglante, taquine, définitive qui signait leur journée ». Le patué était une langue incarnée faisant vibrer le corps entier : « les organes de la phonation s’étendaient des orteils à la pointe du nez… ». L’auteur conclut son discret plaidoyer avec une phrase définitive : « Il faut aimer les livres… pour imaginer que l’âme s’éternise parmi nous grâce aux mots ; elle n’a jamais été que là, en eux et quand ils se taisent, la voilà qui meurt à jamais ». Ensuite passe la fascination face à une boule de mercure puis à la langue latine (« odi et amo »). Progressivement, le livre perd de son éclat et dans les derniers chapitres, il ne retient plus guère l’attention comme si l’auteur avait donné tout son jus dans la première moitié de son récit.
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