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[La fabrique de filles | Laure Mistral] |
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apo
Sexe: Inscrit le: 23 Aoû 2007 Messages: 1954 Localisation: Ile-de-France
Âge: 52
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Posté: Sam 08 Fév 2014 15:06
Sujet du message: [La fabrique de filles | Laure Mistral]
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Ce livre, qui a peut-être été conçu pour un lectorat d'adolescentes, est une mise au point simple et efficace des problématiques liées aux études de genre en France, tendant à montrer par quels biais, dès le plus jeune âge, une éducation différentielle entre garçons et filles provoquera ensuite une somme impressionnante d'inégalités sexuées.
Il commence par une série de six témoignages menés de façon semi-directive (selon l'inégale aptitude au discours des interviewées, qui ont entre 14 et 54 ans et des profils sociaux très variés), visant à leur faire prendre conscience (ainsi qu'au lectorat) d'instances discriminatoires mineures, quotidiennes et presque inaperçues - ex. le droit de sortir avec les copains le soir qui diffère selon les genres. Souvent les entretiens ont commencé par la question : "Êtes-vous contente d'être une fille ?" ou similaires.
S'ensuit un dossier qui systématise la question de la "création du genre" [je suis persuadé à présent que l'on ne peut pas parler d'une "théorie du genre" en France, mais de plusieurs créneaux de recherche en "études de genre", n'en déplaise à certains manifestants récents...], selon une progression quasi chronologique dans la vie d'une enfant-fille-femme : à partir des réponses des neurosciences aux questions "biologiques différentialistes" (cérébrales, d'instinct, d'hormones, génétiques) ; puis sur la "fabrique familiale des filles" (dès la perception sexuée du bébé - exemple très saisissant : photo d'un bébé qui pleure - si c'est un garçon on l'interprète comme un signe de colère, si c'est une fille comme un signe de peur (p. 87-88)) ; la "fabrique médiatique des filles" ; la "fabrique scolaire..." - où, très étrangement pour moi, l'on avance avec insistance l'idée que les filles auraient intérêt à revenir à une scolarité non-mixte, au moins dans certaines disciplines, notamment scientifiques ; "la fabrique professionnelle", où les inégalités sont les plus connues du grand public ; "la fabrique politique", sur les inégalités de représentation ; "la fabrique sociale" comportant la question des violences et celle des religions.
Enfin, on atteint la troisième partie, la plus intéressante, comprenant quatre longs entretiens : avec l'anthropologue Catherine Monnot, auteure d'une étude sur l'apprentissage de la féminité chez les préadolescentes de 9-11 ans ; avec l'historienne Christine Bard, spécialiste d'histoire contemporaine des femmes et du féminisme ; avec la sociologue Marie Duru-Bellat, spécialiste des politiques éducatives et des inégalités sociales ; avec la grande Françoise Héritier qui clôt avec sa synthèse très connue sur le système de valeurs renfermées dans l'opposition Masculin/Féminin.
Inutile de préciser que cette dernière partie est celle qui permet d'approfondir et d'ouvrir la réflexion lorsque l'on n'est pas complètement profane, la précédente étant une synthèse succincte et didactique et la première juste une mise en appétit pour un public débutant.
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[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur Wikipedia]
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le_regent
Sexe: Inscrit le: 13 Oct 2011 Messages: 174 Localisation: sud du Cher
Âge: 76
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Message |
apo
Sexe: Inscrit le: 23 Aoû 2007 Messages: 1954 Localisation: Ile-de-France
Âge: 52
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Posté: Lun 10 Fév 2014 9:12
Sujet du message:
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Bonjour Le Régent,
L'argumentaire de ce livre concernant les classes non-mixtes n'a aucun rapport avec les pressions des familles ou des quartiers dans ce sens. Il se fonde sur le constat de l'intériorisation, de la part des jeunes filles, du stéréotype selon lequel elles devraient être inférieures aux garçons dans les disciplines scientifiques et éventuellement supérieures seulement dans les arts et les lettres - qui sont moins valorisés de toute façon... De ce fait, pour se conformer aux attentes communes, elles se mettent moins en avant, elles restent plus effacées et d'autre part les enseignants leur donne(raie)nt moins la parole (en durée et en fréquence), ils les incite(raie)nt moins que les garçons, d'autant que les filles à plus faibles résultats sont statistiquement moins indisciplinées et donc requièrent moins d'effort pédagogique que les élèves de l'autre sexe. L'esprit d'émulation, dans les cours de sciences, n'opère(rait) que chez ces derniers, alors qu'il en serait à l'opposé, par exemple, dans les cours de français. D'où l'idée qu'il serait bénéfique pour les deux genres de se séparer dans ces matières.
Pour ma part, je ne suis pas vraiment d'accord pour une question de socialisation, d'autant plus qu'il me semble qu'une telle séparation s'opère déjà, hélas, assez spontanément par les choix des filières au lycée.
"Intéressant", cependant, que l'on ait tous tendance à associer intuitivement les inégalités de genre à l'école (ou ailleurs) avec les ZEP (et les banlieues)... Eh oui... comme quoi, comme j'avais lu lorsque l'affaire DSK était d'actualité : "On est violeur d'un côté du périph' et séducteur de l'autre"...
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_________________ Sunt qui scire volunt |
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le_regent
Sexe: Inscrit le: 13 Oct 2011 Messages: 174 Localisation: sud du Cher
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le_regent
Sexe: Inscrit le: 13 Oct 2011 Messages: 174 Localisation: sud du Cher
Âge: 76
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Posté: Mar 11 Fév 2014 11:15
Sujet du message:
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Bonjour Apo
Il me revient soudain en mémoire que dans Germinal, Zola évoque la fréquence de l'union de fait, du concubinage, dans la classe ouvrière à une époque où elle est inenvisageable dans la bourgeoisie (Catherine, la fille des Maheu, et... je ne sais plus le nom de son compagnon). C'est peut-être une des faiblesses des études de genre, en tout cas de celles que j'ai lu, que de nous parler d'hommes et de femmes relativement abstraits, dans la mesure où ils et elles ne sont pas considérés comme relevant de catégories socio-professionnelles diverses. Ce n'est probablement pas la même chose que d'être homme ou femme, garçon ou fille à Neuilly (au hasard!) que dans « les quartiers ». Je me demande s'il subsiste encore des différences selon les régions (peut-être en Italie, entre l'Italie du Nord et celle du Sud, ou la Sardaigne?). Je ne serais pas étonné qu'il y en ait entre la métropole et les Antilles, dont j'ai lu quelque part que la proportion de familles monoparentales y était beaucoup plus élevée. Quid de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française ? Un film récent dont je n'ai pas retenu le titre montre qu'il y a matière à une « vision d'artiste » en ce qui concerne Mayotte.
Cordialement
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Message |
apo
Sexe: Inscrit le: 23 Aoû 2007 Messages: 1954 Localisation: Ile-de-France
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le_regent
Sexe: Inscrit le: 13 Oct 2011 Messages: 174 Localisation: sud du Cher
Âge: 76
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Posté: Mer 12 Fév 2014 10:17
Sujet du message:
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Bonjour Apo
Encore une remarque sur ce sujet, dont tu vois qu'il ne m'intéresse pas médiocrement. Les lectures ethnographiques sont très instructives en la matière. Elles montrent (la formule de Simone de Beauvoir a été très positive en son temps, mais je vais m'exprimer autrement) que l'on naît bien homme ou femme, mâle ou femelle si l'on préfère (à de rares exceptions près), pas absolument tous fertiles, mais que les féminités et les virilités (je choisis le pluriel à dessin), en tant que signes de cette alternative biologique sont aussi « arbitraires » que les diverses langues parlées dans le monde (mon choix du mot arbitraire renvoie au Cours de linguistique générale de Saussure).
Il n'est pas « naturel » que les travaux des champs soient le fait des hommes, comme c'est le cas dans les civilisations d'origine occidentale (ma grand-mère maternelle aidait bien mon grand-père dans les champs, mais c'est parce que leur petit domaine ne dégageait pas assez d'argent pour payer un domestique) puisque chez certains peuples africains (et peut-être dans d'autres parties du monde) le travail des champs est uniquement le fait des femmes (l'association symbolique de deux fertilités, peut-être?).
Lévi-Strauss évoque le fait que chez un certain peuple du Brésil (les Nambikwara je crois), les femmes articulent leur langue d'une façon différente de celle des hommes. Des Occidentaux peuvent se représenter la chose en imaginant les femmes zozotter comme de petits enfants.
Je n'ai plus de référence précise, mais chez certains peuples ce sont les jeunes hommes qui doivent se parer, de différentes manières, pour séduire les jeunes filles.
Et si nous allons du côté de « l'instinct » maternel (je n'ai pas encore lu le livre d'Elizabeth Badinter sur ce sujet), en Polynésie, dès qu'il lui naît une fille, la femme lui abandonne la charge des puînés, « l'instinct » maternel laissant la place à « l'instinct » sororal.
L'histoire apporte aussi sa contribution. Si l'on enseigne encore aux enfants qu'un garçon ne pleure pas, les gentilshommes du XVIIIe siècle fondaient en larmes à tout propos (voir Rousseau).
Mais la vulgarisation de tout cela reste encore à faire dans une large mesure, et surtout (mais là, je me répète) dans les couches les plus populaires.
Bonne continuation de tes lectures.
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