Qui lit encore Anatole France ? Ce n'est bien sûr pas une question pour les membres de l'agora des livres ; j'y ai vu quelques notes de lecture qui prouvent que cet auteur n'est pas encore totalement remisé dans les bas-fonds de la littérature. Mais autour de nous, à l'école, au bureau, dans la famille ? Et puis qui même connait encore le nom de cet écrivain tant adulé du temps de la 3e République qu'il se confondait avec l'idéologie de l'époque : progressiste et laïcarde. Je n'ose imaginer le sort que doivent lui réserver les actuels manuels de littérature pour les classes de première ou de terminale ...

"Les Dieux ont soif" c'est la résistible ascension d'un jeune peintre raté à la fonction de juré au tribunal révolutionnaire à l'époque de la Terreur. Anatole France dans ce roman concis (200 pages chez Garnier-Flammarion) n'a pas voulu faire oeuvre d'historien ni voulu prendre partie pour l'une ou l'autre des nombreuses thèses qui expliquaient les tenants et les aboutissants de cette période controversée. Ce qu'il nous montre d'une manière naturaliste fortemment empruntée à Zola et à Maupassant c'est l'irrémédiable déterminisme qui préside aux destinées des hommes de cette époque. Evariste Gamelin le héros de Anatole France est un enfant du siècle,habité par les idées rousseauistes que l'homme est naturellement bon. Si la République a tant de mal a s'imposer c'est que les traitres pullullent: aristocrates,prêtres ,vendéens réfractaires à l'enrolement dans les armées .Seule la Terreur peut sauver la République. Et c'est alors une succession de charettes qui empruntent toutes le même chemin de la Conciergerie à la place de grêve. Evariste Gamelin juré au Tribunal révolutionnaire va envoyer à la guillotine ses amis les plus chers avec comme seul argument imparable : "C'était des traitres".
Ou l'on voit la perversité des belles idées , de l'idéalisme, et de la propension de certaines élites à voir les hommes tels qu'elles voudraient qu'ils soient et non tels qu'ils sont en réalité. Loin de l'image de l'écrivain chéri de la 3e République, Anatole France se révèle ici d'un pessismisme noir. Ce qui mène le monde c'est l'insignifiance. On est loin de la religion du Progrès. Evariste Gamelin va passer lui aussi à la "lame sanglante" en jurant qu'il ne regrette rien et qu'il aurait dû être encore plus cruel et plus intrangigeant. Et alors que sa tête tombe dans le panier d'osier sa fiancée et tous ceux qui avaient su ménager la chèvre et le choux, ou mettre deux fers au feu selon l'adage, vont reprendre le cours naturel des choses : aimer,s'enrichir,élever des enfants.... jusqu'au prochain retournement. Car le 18 brumaire n'est pas loin ; il va voir apparaître un cavalier casqué qui rammenera les compteurs à zéro et les idéalistes à la raison. Et à nouveau misère, injustice,idéalisme,crimes,guerres,iniquités....C'est Shiva qui danse sur le Monde.

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J'ai eu le plaisir de lire ce roman en 2006. C'est vrai qu'Anatole France n'est plus guère lu, et c'est dommage, à mon sens.
Je vais bientôt lire de lui "Le Petit Pierre" et j'espère pouvoir lire "L'Île des pingouins".

merci de ce commentaire (je n'en espérais pas beaucoup d'autres...). Je compte également approfondir ma connaissance de cet auteur. En rapport aussi avec ma curiosité sur l'histoire de la 3e République . Il y a beaucoup d'écrivains de cette époque complétement oubliés . Qui lit aujourd'hui Romain Rolland (je te l'avoue un peu indigeste ) ou Martin du Gard (Les Thibaud..) ? et Henri Barbusse ? la liste est longue ! et eux ne se contentaient pas des 120 pages qui suffisent à Amélie Notthomb pour "faire un monde" ! mais ceci est un autre problème

Pour Romain Rolland, je t'avoue mon ignorance : je connais son nom, je connais quelques titres, mais je n'en ai lu aucun. Je suis allée faire un tour sur la Toile et je suis maintenant convaincue que c'est une belle lacune : il a même eu le Prix Nobel ! Il faut dire qu'il laisse derrière lui une impressionnante étagère de livres.

"Les Thibault" et Barbusse sont sur ma pile-à-lire. Cela ne serait jamais arrivé sans qu'on me propose de venir choisir des livres parmi ceux d'un couple centenaire décédé, qui appartenait à une classe ouvrière à l'ancienne, celle qui poursuivait son éducation intellectuelle à travers le militantisme - et la lecture. Je me suis retrouvée dépositaire d'une (fraction de) bibliothèque injustement démodée, parfois politique, toujours humaniste et assez souvent littéraire.

La pile-à-lire est énorme et elle me vaut de grands moments de solitude, car, quand je valide un de ces livres sur l'agoradeslivres, il est rare que je le voie dans la bibliothèque de quelqu'un d'autre.

Bonjour Amiread et Swann
J'ai lu Les Thibault il y a bien longtemps, pendant mes années de lycée je crois. Cette oeuvre littéraire volumineuse (4 tomes de gros Livres de poche) m'avait intéressé en particulier en ce qu'elle montrait le poids encore énorme de la religion dans la vie des gens de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, poids qui était encore sensible dans mes années d'enfance (les années cinquante) : voir Mauriac, Bernanos et autres.

Comme le Régent, j'ai lu à 17 ans les Thibault (cadeau de ma tante pour mon bac) et les ai relus avec autant de plaisir. Question de génération peut-être ?
J'ai également lu plusieurs fois Jean-Christophe de R. Rolland.
J'aime beaucoup (comme Frac) le crime de Sylvestre Bonnard
Mais toutes ces lectures datent d'avant internet (et l'agora !) aussi elles ne figurent pas dans ma bibliothèque.

Je pense que tous ces commentaires prouvent au moins une chose : il y a encore des personnes pour qui la littérature ne se réduit pas encore à Guillaume Musso ou Christine Angot
Et d'où également la formation des jeunes années. Il y avait des livres à la maison, mes parents lisaient...J'ai eu un prof de français extraordinaire ; il était également très bon pianiste. Il nous "tanait" pour que nous lisions Jean-Christoffe de Romain Roland ; évidemment c'était l'histoire d'un jeune musicien

Comme quoi, rien ne vaut le bouche-à-oreille pour faire circuler livres et titres !

La bibliothèque de ma commune s'appelle "Roger Martin du Gard" (les thibaut) et j'habitais précédemment rue Anatole France ...
Comme je suis curieuse, j'ai mis ces auteurs dans ma liste de souhaits pour combler mes lacunes.
Je n'ai rien lu d'eux ...

Je projetais de lire "crainquebille" ...

Mais s'il y a parmi vous des spécialistes d'Anatole France, je veux bien que l'on me dise par lequel commencer ...

Merci d'avance et merci de vos commentaires!

C'est un plaisir de lire des discussions sur l'agora

Je viens de lire les 3 premiers tomes de l'Histoire contemporaine. J'avoue que certains ex cursus m'agacent, mais globalement c'et une belle lecture. J'apprécie l'ironie douce d'Anatole France et sa grande sagesse, parfois désabusée.