Dès la préface bien ourdie, la patte du philosophe moraliste Frédéric Schiffter agrippe tant par l’idée, ramassée, que par la forme, brève et percutante. Démystificateur, l’auteur met d’emblée les choses au net. Il n’existe pas de recette du bonheur et nul n’est en mesure de l’enseigner. Notre psychisme ne saurait être modifié par le biais de la raison, de l’éducation ou de la méditation : «
Tels qu’en nous-mêmes la vie nous fige et l’âge nous ossifie. » Partant de cette mise à plat des ego, le lecteur peut verser toute son attention inquiète dans les aphorismes amoureusement couvés par l’auteur, de Nietzsche à José Ortega y Gasset en passant par l’Ecclésiaste, Pessoa, Schopenhauer, Proust, etc. Frédéric Schiffter commente et digresse sur la mélancolie, la mort, l’amour, etc. Les sept pages consacrées à Nietzsche décapent l’homme moderne, esclave de son travail et de ses loisirs. «
Mieux vaut être oisif que de s’agiter à ne rien faire ! » A l’inverse, l’homme du loisir préfère le silence favorable à la rêverie. Chacun de nous en prend pour son grade mais il s’agit d’une leçon de survie. Si certaines digressions sont trop didactiques, voir Proust, d’autres commentaires portent une charge de vécu qui les rendent particulièrement émouvants tels ceux consacrés à Fernando Pessoa ou à Michel de Montaigne :
« Montaigne meurt dans son manoir à cinquante-neuf ans, le 13 septembre 1592. Il était temps. Depuis des années, la santé désertait ses reins et la joie, son cœur. » Frédéric Schiffter possède l’art de la phrase impeccable, savamment construite, lisible et limpide, immédiatement compréhensible et chargée de sens. C’est un régal de chaque instant, un divertissement goûteux pris au palais croulant de nos vies qui se défont continûment. Le dernier commentaire concernant José Ortega y Gasset est éblouissant. A l’auteur cité en exergue : «
L’amour est la tentative d’échanger deux solitudes », Frédéric Schiffter conclue son livre par une phrase travaillée comme celle d’un moraliste du XVIIIe siècle, à l’instar du grand Chamfort (1741-1794) :
« L’amour est la forme la plus exquise de l’inconfort de vivre. »
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