[NOUS ET LES AUTRES. - La réflexion française sur la diversité humaine | Tzvetan Todorov]
Depuis longtemps je savais que ma réflexion sur l'altérité ne pouvait absolument pas faire l'impasse sur ce summum incontournable.
Longtemps, plusieurs mois m'ont été nécessaires pour venir à bout d'un travail qui se rapproche de mon modèle de ce que devrait produire un intellectuel dans et pour la cité.
Longtemps, plusieurs années ont fallu à l'auteur pour réaliser cette étude sur la pensée philosophique française des rapports à l'autre, qui explique et balise les débats toujours d'actualité sur l'universalisme-relativisme, l'ethnocentrisme, le racisme, le nationalisme, l'exotisme, l'humanisme...
Longtemps, environ deux siècles et demi ont servi à cette diversité conceptuelle et morale d'une culture - française - pour s'étaler, laquelle, si elle a trop souvent péché par l'orgueil de se croire universelle, demeure particulière ; mais : "[...] tout comme on ne peut apprendre l'amour "universel" qu'en passant par l'amour de ses proches, on ne peut accéder à l'esprit universel que par la connaissance d'une culture particulière." (p. 336)
Todorov utilise une démarche de déconstruction analytique de penseurs dialoguant, de Montaigne à Lévi-Strauss, de Montesquieu à Segalen, souvent Rousseau, regroupés non chronologiquement mais autour de cinq thèmes :
1. L'universel et le relatif, 2. Races, 3. Nations, 4. L'exotique, 5. La modération.
De cette oeuvre de déconstruction grâce à laquelle émergent les contradictions et l'élévation, les cruautés et la grandeur, les écarts entre idéaux et pratiques de presque tous, j'ai été contraint, par acceptation du vrai, de reconsidérer certains de mes auteurs de prédilection (Rousseau, Lévi-Strauss, même Gobineau et Tocqueville), alors que Todorov ne laisse effleurer qu'une très légère complicité préférentielle pour Montesquieu qu'il fait s'exprimer en dernier (honneur qui remonte au Sénat romain)... Mais alors, très très légère complicité... Au point qu'il est conscient, dans sa conclusion, "Un humanisme bien tempéré", où finalement il "prend à [son] tour la parole", que : "[le] lecteur a pu éprouver quelque irritation (ou fatigue) devant [sa] réticence à exposer de manière systématique [ses] opinions sur les sujets abordés." (p. 505) Choix méthodologique ? Posture d'intellectuel "étranger" (avec tous les guillemets possibles, car, dans une conception culturelle de la nationalité, allez trouver plus français que lui !) ? Et pourquoi encore avoir écarté une conclusion qui serait une véritable synthèse de cette pensée de l'altérité qui, il faut bien l'avouer, tout au long des siècles et ainsi déconstruite, montre bien davantage de xénophobie que de xénophilie (même dans son exotisme = valorisation de l'autre en tant qu'autre)...
Je n'insisterai pas, car il est toujours trop facile d'imaginer soi-même un texte différent de celui que de toute évidence aucun d'entre nous ne serait capable de réaliser, même en rêve. J'insiste au contraire sur la qualité de ces quelques vingt dernières pages de prise de parole conclusive de Todorov, dont j'appelle de mes voeux une diffusion maximum, même dans les débats de presse et à l'université : plus que dans d'autres ouvrages même successifs se rapportant peu ou prou à ce sujet, il y a été capable, en effet, de pousser son acuité raisonnante sur ces dilemmes irrésolus, comme le relativisme et l'universalisme ou l'humanisme et l'anti-humanisme, dont la résonance n'est trop souvent que bruit suraigu.
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