« Le carnaval des monstres », c’est l’histoire d’une rencontre atypique, celle d’un photographe fasciné par l’anormalité physique, Joachim Kellerman, et de Marica Barbier, jeune femme que sa bouche difforme rend particulièrement laide.
C’est la rencontre de deux êtres qui finalement ne vont jamais se connaître, chacun puisant dans la présence de l’autre une réponse à ses angoisses, un prétexte à céder à des pulsions ou des aspirations inavouables.
Tout commence comme un banal rendez-vous : Marica répond à une annonce de Joachim… ce dernier recherche des modèles à photographier dans le cadre d’une étude portant sur les « monstres », entendez par là ceux qui sortent des canons habituels de la normalité.
Au fil des séances photo, l’ « artiste » et le modèle vont lier des relations de plus en plus intimes, et étranges aussi, la vision qu’ils ont l’un de l’autre, en inadéquation avec celle qu’ils ont d’eux-mêmes, creusant de plus en plus le fossé d’incompréhension qui les sépare.
Marica et Joachim prennent tour à tour la parole. La cruauté du photographe inspire à la fois le mépris et la pitié : il éprouve pour la jeune femme une attirance animale et charnelle qui le dégoûte, et par conséquent se montre odieux avec elle, comme s’il voulait, en annihilant chez elle toute possibilité d’épanouissement et de bien-être, combattre ce désir en lui. Finalement, c’est lui le monstre… et pourtant, c’est bien Marica qui passe comme tel aux yeux du monde. Sa particularité physique l’empêche définitivement d’être intégrée socialement. Qu’elle se rende chez le coiffeur, chez le dentiste, elle réalise à chaque fois que c’est sa différence que l’on remarque, et que cette différence la condamne à ce que le reste de sa personnalité disparaisse au regard des autres. La vie de Marica, c’est une vie de solitude grisâtre, à l’image de cette région du Nord dont elle est originaire, à l’image aussi de l’existence de ses parents, laids eux aussi, et de leur foyer terne et poussiéreux…
C’est pourquoi elle se laisse facilement entraîner dans cette aventure malsaine avec le photographe, qui lui donne l’illusion d’être belle, d’être une œuvre d’art, alors qu’en réalité seule sa laideur l’intéresse. Et d’ailleurs, elle aussi, au fond, se sert de Joachim. Il est pour elle comme un miroir lui renvoyant l’image qu’elle aimerait avoir d’elle, « elle ne l’aime pas, elle aime l’idée de son propre corps sous celui d’un homme ».
Anne-Sophie Brasme sait trouver les mots pour décrire ce simulacre de liaison, exhumer et décortiquer les mécanismes de cette relation sordide, basée sur l’ambivalence entre désir et répulsion, entre pulsions animales (évoquée notamment par l’omniprésence des odeurs corporelles) et besoin de reconnaissance et de respect.
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