Le moins que l'on puisse dire en ce qui concerne ce roman, c'est qu'il est noir... Une noirceur qui tient certes en partie à son synopsis (l’assassinat, à coups de hache, de Dora Suarez ainsi que de sa logeuse et amie Betty), mais qui est surtout due à la personnalité de son narrateur, l’inspecteur chargé de l’enquête. Après avoir été suspendu pendant un an de ses fonctions pour avoir malmené un de ses collègues, il est rappelé au sein de son service, l’A14 (celui des décès non élucidés), qui manque de personnel. Comme beaucoup d’antihéros de polar, il traîne avec lui de douloureux souvenirs personnels… mais c’est surtout sa vision du monde et le rapport particulier qu’il entretient avec la victime du meurtre, qui en font un personnage atypique. Il n’a que mépris pour l’ambition, qu’il considère comme incompatible avec la foi nécessaire pour accomplir sa mission avec efficacité, une mission qu’il envisage comme un sacerdoce, dont le but est d’apporter son infime contribution à l’avènement d’une société moins dangereuse, moins injuste pour les faibles et les exclus. Et puis, sa place est dans la rue : c’est de là qu’il vient, c’est sur le terrain qu’il pense pouvoir être le plus efficace, et c’est le milieu qu’il connaît le mieux.
Ce qui compte par-dessus tout, pour notre inspecteur, c’est la victime. D’ailleurs, le lecteur ne connaîtra pas le nom de l’enquêteur, quand celui de Dora est parfois répété comme une litanie…
Et c’est un sentiment très fort qui lie le policier à celle qu’il veut absolument venger, qui représente à ses yeux toutes les victimes, parce qu’elle est morte dans d’horribles souffrances, et parce que de son vivant, elle fut bafouée, utilisée, martyrisée… La façon qu’il a de mener son enquête confine à l’obsession, il donne parfois presque le sentiment de flirter avec la folie, d’être plus à l’aise avec les morts –et les fantômes ?- que les vivants, de lire dans les pensées du meurtrier.
Cette affaire est aussi une mise à l’épreuve pour lui à titre personnel : il est envahi par la fureur, comme un mal qui le ronge, et il sent bien qu’il est à deux doigts de perdre tout contrôle sur cette colère qui l’anime.
« Parfois je me sens tellement oppressé par le crime que je crains de perdre la raison (…). Ce n’est pas seulement à cause de la terreur que les circonstances d’un meurtre m’inspirent, mais de la souffrance gratuite qui menace et frappe les gens –voilà ma souffrance ».
« J’étais Dora Suarez » est un roman très fort, très désespéré, pour lequel Robin Cook* a su créer un personnage marquant et inhabituel.
(*A ne pas confondre avec son homonyme américain, le « Mary Higgins Clark » du thriller médical).
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