[Millénium. T. 1, Les hommes qui n'aimaient pas les femmes | Stieg Larsson]
Tout le monde ne peut pas être un tortionnaire sans état d’âme et sans repentir. Bien que l’horreur soit humaine, la compassion, l’amour ou la culpabilité sont des sentiments forts qui peuvent servir aussi de garde-fous. Le bourreau n’est pas toujours là où on l’attend. Il est protéiforme, s’exprime à des degrés divers et comme le phénix des légendes, il peut renaître de ses cendres. Dans Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, le lecteur assiste, médusé, à une valse du mâle où les femmes trinquent. De la femme battue régulièrement par son mari, vomit par son père, à la fille victime d’inceste sous l’œil indifférent de sa propre mère, de l’amante maltraitée et sommée d’avorter à la jeune femme violée par son tuteur, la liste semble sans fin dans la trilogie de Stieg Larsson, Millenium. Bien que les lendemains dégrisent toujours, avec un goût amer dans la bouche, le roman se consume d’abord lentement dans les volutes blêmes de la Suède contemporaine puis s’opacifie, devient plus dense à mesure que l’enquête du journaliste Mikael Blomkvist avance. L’attention du lecteur croît à mesure que les fils de l’intrigue se nouent. Rapidement, il devient impossible de lâcher le livre tant le récit est prenant. Les rapports complexes entre les personnages et l’évolution de l’histoire sont plausibles de bout en bout. Il se dégage une atmosphère envoûtante, cruellement désenchantée. On se prend à s’attacher à Lisbeth Salander, enquêtrice hors pair, informaticienne géniale dotée d’une mémoire photographique, ceci en dépit de ses méthodes terriblement efficaces mais hors-la-loi. Œil pour œil et dent pour dent pourrait être son credo. Il devient de plus en plus rare de trouver un livre bon de la première à la dernière ligne. La structure narrative du roman est intéressante aussi. Si on est littéraire, on peut parler de récits enchâssés avec un lien de cause à effet. Si on est informaticien, on peut parler de données encapsulées avec un lien hiérarchique. Ici, on déverrouille des tiroirs à secrets comme on ouvre des fichiers informatiques. Une histoire en dévoile une autre, dans un jeu de miroirs déformants. La vache qui rit n’est pas toujours un mammifère débonnaire et la mise en abîme n’est pas seulement un procédé littéraire. L’écrivain Stieg Larsson est vraiment doué. Il sait prendre son lecteur par la main et ne plus le lâcher. On peut aussi le remercier de ne pas s’appesantir sur les éléments macabres de son histoire et de nous gratifier de phrase comme celle-ci : « Elle comprit tout à coup que l’amour est l’instant où le cœur est sur le point d’éclater. »
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