Qui est donc cette Annie Leclerc dont Nancy Huston nous raconte dans ce livre merveilleux les passions ? Les plus anciens d'entre vous se rappeleront peut-être qu'un pamphlet féministe intitulé "Parole de femme" avait défrayé la chronique dans les années 70, se mettant à dos aussi bien les machos que certaines féministes "beauvoiriennes" qui considéraient que la femme ne sortirait de sa condition inférieure qu'en devenant ... un homme (ou presque). Annie Leclerc en était l'auteur et, jeune homme, j'ai lu son livre avec délice : pour elle, loin d'être inférieure, la femme était riche de choses délicieuses et jouissives que l'homme ne connaissait pas, et de ces choses là, il était urgent de parler et même de philosopher, pas pour jargonner mais pour réfléchir aux raisons qui faisaient que la femme n'avait d'autres choix que de se taire ou de ressembler à l'homme. Pour ma part, j'étais tout disposé à en parler et à découvrir ce féminin qui était tu !
Ce livre me l'a appris : Annie Leclerc est morte récemment. Nancy Huston était devenue son amie. C'est avec tout son coeur et toute sa sensibilité que Nancy Huston parcourt avec nous l'album thématique de la vie d'Annie Leclerc en le croisant à l'occasion (et l'occasion est souvent présente) avec sa vie propre. On découvre éffectivement combien ces 2 femmes étaient proches et on y croise aussi une troisième comparse du nom de Severine Auffret. C'est donc un livre de philosophie mêlé à un livre d'amitié et presque d'amour tant l'hommage que NH rend à "Leclerc" est vibrant et sincère. C'est un éloge d'une philosophie qui part du quotidien et des "petites choses" pour tenter de comprendre les "grandes choses", la violence, les rapports hommes/femmes, la Shoah, la vie et la mort ...
Une fois de plus je suis sous le charme de l'écriture de Nancy Huston, de son intelligence des choses de la vie, de son "savoir-dire" les choses que nous ressentons et qu'il est si difficile d'exprimer. Une philosophie de la nuance, du doute, de la respiration loin des incantations des maîtres-penseurs. Ces "passions d'Annie Leclerc" est peut-être son livre le plus abouti.
Ajout : Il est à noter que NH revient aussi sur certains aspects de son dernier essai "Professeurs de desespoir" et sur le nihilisme (ou le "néantisme" selon l'expression qu'a forgé NH). Si Cioran revient 2 ou 3 fois sous la plume de NH, c'est surtout avec Kundera qu'elle continue de polémiquer tout en avouant que le regard kunderien sur la vie ne lui est pas étranger. NH nous rappelle que dans son "Livre du rire et de l'oubli" (que je me souviens avoir beaucoup aimé !), Kundera s'en prend assez violemment aux propos d'Annie Leclerc dans "Parole de femme", se gaussant de sa défense des "petites fleurs et des petits oiseaux". Bien-sûr NH prend la défense de son amie mais curieusement finit par regretter que Kundera et Leclerc ne se soit pas un jour rencontrés, non pour se convaincre mais peut-être pour atténuer leur opposition. On ne peut s'empêcher de penser que NH parle aussi pour elle-même. C'est aussi la magie de NH d'être elle-même et les autres à la fois.
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