Voici un chef d'oeuvre lu et relu sans épuisement du contenu ou du lecteur. Miguelanxo Prado trace une ligne de faille à la jointure de la bande dessinée, de la peinture et de la littérature. La mélancolie est un gouffre qui suppure à vie et le Trait de craie jeté sur le tableau sombre de l'océan accentue encore plus la superficie des noirceurs.
Après avoir essuyé une tempête durant deux jours, Raul accoste sur une île non répertoriée. Sur la longue digue blanche et déserte, des passagers successifs ont tracé des messages : "Ana, repasserai juin prochain. Je t'aime. Raul" ; "Jean, je ne t'oublierai jamais. Susan". Une unique auberge, bar, hôtel tenue par une femme mûre, Sara, vivant seule avec son fils Lucas, muet et sauvage, un phare désaffecté et une colonie de goélands, tout transpire la solitude poignante et l'attente suspendue. Ana débarque à son tour. Raul tente de l'approcher mais les distances semblent infranchissables. Raul avance, Ana esquive. Deux marins égrillards débarquent ensuite. A bord de sa couchette, Ana repousse les deux violeurs en puissance avec un revolver. Raul vient à son secours mais se fait rouer de coups sur la digue, loin d'Ana. Sara va subir la violence des hommes. Sur une ultime mésentente avec Ana, Raul va reprendre le large. Comprenant l'importance de la présence de Raul, Ana va alors l'attendre une semaine encore, vainement. Elle laisse une lettre à l'attention de Raul qui n'atteindra jamais son destinataire.
Ainsi en est-il de l'incommunicabilité entre les êtres.
Trait de craie est une bande dessinée métaphysique. Le temps est une spirale vertigineuse. Les rencontres (oniriques ou réelles) entre les êtres sont vouées à se frôler, s'esquiver, s'effacer et se répéter dans un éternel recommencement.
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]