On ne peut que saluer le tour de force qu'a réalisé J. Robert Lennon avec son roman "Mailman", qui, si l'on y réfléchit deux secondes, s'articule autour... du vide. Celui de l'existence d'Albert Lippincot, facteur de la petite ville de Nestor, dans l'état de New York.
Mailman -puisque c'est ainsi qu'il est nommé tout au long du récit- arbore a priori les caractéristiques du quidam banal et anonyme... A priori seulement, car plus nous faisons sa connaissance, et plus nous détectons chez lui des comportements et des réactions dont l’irrationalité font suspecter quelque brèche dans cette apparente normalité. Son habitude de lire le courrier de certains de ses administrés pourrait passer pour la moindre de ses lubies, si elle ne s'accompagnait d'une méticulosité suspecte quant à l'organisation de ces lectures interdites.
Le suicide de l'un des bénéficiaires de sa tournée et l'apparition d'une grosseur sous son bras va amplifier les manifestations de sa psychose. Dans un bouillonnement mental, exhaussé par l'angoisse, Mailman revient sur les épisodes de son passé qui illustrent la permanence de ses échecs dans tout ce qu'il entreprend.
Son bref mariage avec une des infirmières de l'établissement psychiatrique où il fut interné suite à une crise de démence s'est soldé par un divorce.
Ses relations avec ses parents sont entachées d'une incompréhension qui anéantit tout espoir de communication véritable, et celles qu'il entretient avec sa sœur sont trop troubles pour lui procurer un réel équilibre.
A 50 ans passés, Mailman n'a pas d'amis ni de vie sociale. Il ne se sent d'ailleurs pas intégré dans cette société qu'il ne comprend pas, lui qui est toujours à côté de la plaque. Aucun projet n'égaie sa triste existence, et les souvenirs qu'il ressasse sont amers et anxiogènes.
Et pourtant, J. Robert Lennon parvient à construire, à partir du néant que représente la vie de Mailman, un roman d'une grande richesse. Et c'est la névrose dont il l'accable qui donne à son héros, pitoyable loser, une dimension finalement extraordinaire, à la fois terriblement humaine et ... épique. Car c'est bien une épopée que nous vivons, plongés dans l'esprit malade d'Albert Lippincot, en quête d'une réponse à cette question bassement triviale et néanmoins existentielle : "qu'est-ce qui a bien pu merder ?"
C'est aussi un roman très drôle, l'auteur malmenant l'ensemble de ses personnages avec un humour grinçant, mêlant tragique et cocasse, parce que, finalement, Mailman n'est pas le seul fou, dans cette histoire... Son entourage, et même les anonymes qui croisent son chemin, semblent tous affligés d'angoisses ou d'obsessions qui donnent au lecteur le sentiment d'évoluer dans un monde -le nôtre ?- de déjantés !
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