Arnaud Cathrine serait-il obsédé par l'absence, par les fantasmes qu'elle suscite en nous, par ces moments où nos désirs et nos attentes nous font subjectivement imaginer les pensées, les sentiments de celui qui nous manque ?
"Le journal intime de Benjamin Lorca" est le troisième roman que je lis de cet auteur (après "La route de Midland" et "L'invention du père"), et le troisième dont l'histoire tourne autour d'un disparu. Et c'est non pas la personnalité du défunt qui fournit à l'intrigue sa consistance, mais la perception que d'autres en ont gardé.
L'absent est Benjamin Lorca, écrivain trentenaire qui s'est donné la mort. C'était un homme solitaire et énigmatique, originaire de Normandie où il avait laissé ses parents et son frère pour vivre à Paris une existence dont il ne leur livrait rien.
Souvent, il a exprimé ses regrets, déploré son manque de courage face à son incapacité à écrire sur lui-même. Certaines scènes de ses romans s'inspiraient bien d'événements qu'il avait vécus, mais jamais il n'a ouvertement couché sur le papier ses angoisses, le mal-être dont ses proches captaient, par intermittences, quelques indices, mais dont ils n'ont pas véritablement décelé l'ampleur.
Or, Benjamin aurait laissé, enregistré sur son ordinateur personnel, un journal intime...
Arnaud Cathrine construit son roman comme un compte à rebours, qui débute quinze ans après la mort du héros, pour se rapprocher, par étapes, des moments qui ont suivi son suicide. Le lecteur y est amené par différents narrateurs, dont le degré d'intimité avec le défunt s'accroit avec la progression du récit.
Plus que la personnalité de ce dernier, c'est le regard que ses proches portaient sur lui qui est ici important, les questions -et les remises en question-, les émotions provoquées par les circonstances de sa mort. Chacun des individus qui s'exprime nous livre une approche différente de cette mort, qui en révèle bien plus sur sa propre personnalité que sur celle de Benjamin.
Comme pour démontrer que finalement, c'est nous-même, et non pas l'autre, que nous définissons par la manière dont nous percevons cet autre.
Hormis la première partie, dont j'ai détesté le narrateur, qui se montre d'un égocentrisme et d'une prétention agaçants, j'ai une fois encore grandement apprécié l'écriture élégante d'Arnaud Cathrine, et la sensibilité qui en émane. Sa façon de traiter les émotions de ses personnages, avec pudeur et clairvoyance à la fois, les rend très attachants.
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