Gildiner est titulaire d'un doctorat sur l'influence de Darwin sur Freud. Dans ce premier roman, elle transpose son sujet de recherche sous forme de polar. La protagoniste et narratrice, Kate Fitzgerald, est une quadragénaire canadienne issue d'un milieu privilégié ayant fait des études d'épistémologie mais qui, pour avoir assassiné son mari, a écopé d'une peine de prison dont elle a passé les dix premières années à se spécialiser sur le corpus freudien. Nous sommes en 1982, Anna Freud vit encore et veille depuis Londres à la sauvegarde et promotion de l’œuvre et des archives de son père. Le président de l'Association Psychanalytique Internationale, tel Anders Konzak, sans doute mû par l'ambition, est sur le point de divulguer des découvertes qui lui viendraient de pans inconnus de la correspondance de jeunesse entre Freud et Fliess, susceptibles de discréditer totalement la psychanalyse et l'honnêteté scientifique de celui qui en a revendiqué la paternité. Le psychiatre qui suit Kate et dont dépend sa libération conditionnelle, lui confie à titre probatoire la mission de jauger la dangerosité effective de la menace que Konzak représente pour l'ensemble de la profession psychanalytique nord-américaine, et si possible de le neutraliser. Mais il l'associe à un autre ancien détenu, Jackie Lawton, multi-récidiviste pour crimes sexuels et semblables infamies, reconverti en détective privé. Ce couple mal assorti se lance dans un périple entre Vienne, Londres, Toronto et les États-Unis sur les traces d'experts ès psychanalyse parfois très inattendus qui, l'un après l'autre, s'avèrent avoir changé d'identité ou bien sont frappés par une main assassine particulièrement sanglante. À une époque où l'on ne communique au mieux que par fax, et parmi des personnages qui ont tous d'excellentes raisons de se méfier les uns des autres, l'intrigue avance sur presque 500 p. qui mêlent suspense, horreurs, fragments d'auto-analyse de la protagoniste, conversations psychanalytiques et dissertations conséquentes sur les possibles failles et mésinterprétations de la théorie freudienne de la séduction.
Sans ce ton si caractéristique des polars américains, qui consiste dans le registre argotico-hollywoodien de dialogues très difficiles à traduire (donc souvent gauches), dans des descriptions glauques, hachées et pleines de références à la culture populaire nord-américaine, sans un certain grossissement des traits caractériels des personnages, bref avec moins de matière grasse, de ketchup et de sel, le mets eût été plus conforme à mon goût ; cependant j'apprécie l'entreprise du thriller intellectuel qui me fait penser à son prototype, antérieur de 20 ans environ, inventé, à ma connaissance, par Umberto Eco, toute proportion gardée par ailleurs.


Cit. :

« Je crois que j'avais cessé de m'identifier à lui [Freud] ou d'avoir besoin qu'il soit un père idéal. Je ne sais pas si cela signifiait que j'avais enfin grandi ou progressé d'un pas chancelant vers la normalité. Ni l'un ni l'autre sans doute. Je pensai au bel éloge funèbre qu'avait écrit W.H. Auden : "Il avait souvent tort, il était parfois absurde, mais il aidait à voir la richesse de la vie et sa stupidité." Le poète n'avait jamais désiré que Freud fût parfait. » (p. 486)

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