Misère, misère ! Où en sommes-nous réduits, actuellement, dans la recherche universitaire psychiatrique et dans la clinique états-unienne sur les addictions... Il y a cinquante ans déjà, Olievenstein, en se fondant sur une solide base psychanalytique, avait pu développer la notion de « manque », au-delà de la substance addictive, comme un pathogène lié à un traumatisme infantile. Et aujourd'hui, qu'en est-il du « craving », défini dans le DSM-5 comme : « […] désir puissant ou compulsif d'utiliser une substance psychoactive ou d'exécuter un comportement gratifiant alors qu'on ne le veut pas à ce moment-là » (cit. en exergue, p. 10) ? Nous en sommes réduits au comportementalisme. Retour à Skinner, à la boucle de répétition : déclencheur-action-récompense, aux « grandes » expériences de laboratoire sur les stimulus-réponses avec force IRMf (il ne manque plus que les rats récompensés ou électrocutés !)... Et pourtant, le démantèlement théorique du paradigme comportementaliste ne date pas d'hier : Arthur Koestler l'avait brillamment accompli déjà dans les années 1960 avec : The Ghost in the Machine. Mais voici : aujourd'hui un neuro-scientifique s'attelle à dénoncer les méfaits des « giclées de dopamine », cette sécrétion endocrinienne qui forge les habitudes par des récompenses éphémères, comme s'il s'agissait du fruit empoisonné du péché originel, ou d'un étalon de l'éthique individuelle, et à s'extasier de la réduction de l'activité du cortex cingulaire postérieur (CCP), comme si ce dernier était une partie honteuse de notre cérébro-anatomie... Mutatis mutandis, on en est au puritanisme avec d'autres fantasmes sexuels : gare à la dopamine, méfiez-vous de votre CCP !
Et puis, notre air du temps est au syncrétisme et au New age : la thérapeutique de l'addiction passe donc par la méditation, la pleine conscience, MBSR : « Mindfulness Based Stress Reduction » et toute la métaphysique bouddhiste... Non que cela soit nocif de pratiquer la méditation, d'acquérir une conscience de la vacuité des désirs, surtout à une époque et dans une société de consumérisme, naturellement. Mais souvenons-nous des prémisses : il s'agit ici de thérapeutique des toxicodépendances...
Et ce n'est pas par hasard que l'auteur vante les succès de sa méthode, de son « approche révolutionnaire » est-il indiqué dans la quatrième de couverture... sur le tabagisme et le surpoids ! Serait-ce là la limite actuelle de la lutte contre les addictions ? Sans doute. En effet : « Le traitement du sevrage tabagique par la pleine conscience conçu par le Dr. Judson Brewer s'est révélé cinq fois plus efficace que les méthodes traditionnelles remboursées par les assurances santé » - lit-on ibidem. Gros sous pour petits caprices d'addicts de luxe. Et les camés à l'héro, aux amphétamines, au crack, aux cocktails médicamenteux détournés : les soigne-t-on aussi par la méditation, par la pleine conscience, par la théologie bouddhiste ? Non, sans doute ne les soigne-t-on pas du tout, car ils n'ont pas de mutuelle, on les jette en détention aux États-Unis : après tout, ce ne sont que des Noirs et des pauvres ! Alors, cela laisse aux bons citoyens plein de ressources pour alimenter la recherche universitaire sur les effets de la méditation sur la réduction de l'activité du cortex cingulaire postérieur, dûment mesurée avec force IRMf !
Et tout le reste du livre, c'est du blabla insupportable, même pas bien écrit, plein de confusion entre habitudes et addictions (Facebook, le soi, l'amour, la pensée et quoi encore... !), plein d'anecdotes autobiographiques insignifiantes et prétentieuses, et de répétitions.
Cit. :
1. « […] Ai-je une importance ? D'un point de vue évolutionniste, [cette question existentielle] est liée à la question de la survie : la réponse […] équivaut-elle à des chances de survie accrues ? Il s'agit en l'occurrence de survie sociale, d'améliorer sa position dans l'ordre hiérarchique, de ne pas être laissé pour compte, ou du moins de savoir où l'on se situe par rapport aux autres. » (pp. 74-75)
2. « Quelque part dans l'histoire de l'humanité, nous avons été conditionnés pour penser que le sentiment éprouvé quand la dopamine surgit dans notre cerveau est égal au bonheur. N'oubliez pas, le but était probablement de nous aider à nous rappeler où trouver la nourriture, et non de nous donner l'impression d'être "comblé". Certes, définir le bonheur est une tâche délicate, et très subjective. […] Cette émotion qu'est le bonheur ne semble pas avoir sa place dans un algorithme d'apprentissage de la survie du plus apte. Mais on peut être raisonnablement sûr que le bonheur ne consiste pas à prévoir une récompense. » (pp. 81-82)
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