Quelle joie d'avoir eu en main un « Que sais-je ? » traitant de poésie qui ne fût pas un succinct résumé scolaire, sous forme de dissertation, des techniques de la versification, des figures de la rhétorique, ou des règles de la forme-mètre-rime-alexandrin !
Persuadé d'emblée que la quête infinie et insoluble de sa propre définition est ontologiquement liée à la poésie, ou plutôt à l'acte poétique, je suis désormais acquis à l'idée qu'une nomenclature subjective, personnelle, privée même, élaborée comme une succession de fragments en prose poétique constitue la meilleure approche pour qualifier cette étrange, immémoriale, atterrante création de musique langagière ; à condition, sans doute, d'éviter la tentation du lexique ou du dictionnaire – en somme le leurre de l'objectivation totalisante. Cette collection de cent mots, de « Acte » à « Voix », illustre un « entendement » contemporain de la poésie, de la part d'un poète sans doute plus que d'un critique [la question restant posée de se demander : « Poète, est-ce une identité, une fonction ou un état intermittent ? » (p. 89)] même si les entrées contiennent une foison de références à des poètes (et parfois des auteurs, des philosophes et autres critiques) du passé et d'ailleurs, et semblent d'ailleurs les caractériser, à l'instar de « Âme » qui renvoie successivement à Platon, à Lamartine (« cri de l'âme »), à Victor Hugo (« l'art d'apprivoiser les âmes »), à Baudelaire et à Paul Claudel...
Mon seul regret est que la « constellation de mots » n'ait pas tenu la promesse annoncée dans l'Avant-propos d'inclure des verbes « qui disent les gestes d'un travail et d'autres qui désignent des mouvements du corps et de la pensée » : peut-être cette intention d'origine s'est-elle émoussée pour ne retenir à la fin que des substantifs, un nom propre – Orphée – et les trois pronoms personnels caractéristiques : « Je », « On » et « Tu ».
J'ai été tenté de citer in extenso le fragment « Langue », qui m'interpelle le plus vivement. Cependant, j'opte pour une cit. tirée de l'entrée « Poème », qui n'est certainement pas la plus originale ni même peut-être la plus représentative du livre, mais qui donne une ouverture historique qui semble bien, pour une fois, faire œuvre de synthèse :
« Mixte de son et de sens, concentré d'images et de rythmes, parfois prouesse verbale, le poème est cet objet, "objeu" et "objoie" (Francis Ponge), fait de mots que l'on ne peut détacher de sa forme. […] Aux temps classiques, il fut pour une part le produit d'un art poétique qui lui préexistait ; aux temps romantiques, il vint exprimer et illustrer un sujet, amplifié, exalté parfois jusqu'au sublime. Aux temps modernes, il n'est souvent plus qu'un moment ou une étape d'une recherche qui le dépasse infiniment ; [...] » (p. 88)
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