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[La nostalgie : quand donc est-on chez soi ? | Barbara C...]
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apo



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Posté: Jeu 20 Sep 2018 21:06
MessageSujet du message: [La nostalgie : quand donc est-on chez soi ? | Barbara C...]
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[La nostalgie : quand donc est-on chez soi ? | Barbara Cassin]

Ce livre se penche sur la problématique des conditions de la perception « d'être chez soi », c-à-d. sur le déracinement et l'enracinement, à travers trois essais philologiques et philosophiques assez indépendants et différents. Tout en partant de l'observation que « nostalgie » est un mot moderne et suisse – du XVIIe s., relatif au mal du pays des mercenaires de Louis XIV (on aurait pu dire « philopatridomania » ou « pothropatridalgia » et c'eût été horrible!) – l'archéologie du concept peut être fait remonter, dans notre culture, au personnage d'Ulysse. La nostalgie d'Ulysse, « polytrope, aux mille tours », comme lui-même, constitue l'objet de premier essai. D'Ulysse à Énée, la pérégrination devient exil, le déracinement, enracinement, et d'emblée l'on découvre qu'il est question de langues. Pour devenir ancêtre, Énée cessera de parler le grec, et Virgile, sous forme poétique, semble aussi refléter toute la question politique de « l'altérité incluse » de Rome, que l'on associe plus généralement à la plume de Cicéron (De Legibus).
Mais rappelons que la problématique initiale concernait la perception, donc l'aspect subjectif d'être chez soi (on aurait presque envie de dire : « se sentir chez soi »). Le troisième essai termine l'analyse par la réflexion – largement autobiographique – de Hannah Arendt sur son exil de l'Allemagne nazie et son rattachement identitaire électif à la langue allemande. Cette partie, la plus longue et complexe, la plus philosophique aussi, est à nombreux égards la plus intéressante. Il faut d'abord faire la place à la conception arendtienne de l'identité comme assignation et non comme essence : en somme une question politique. Cette conception dans son articulation même avec le peuple (d'origine?) et la langue maternelle, s'oppose radicalement à celle de Heidegger, et Cassin exprime cette opposition en termes de « nostalgies » de l'une (Arendt) et de l'autre (Heidegger) [mais ça peut marcher aussi comme : « de l'une (langue maternelle) et de l'autre (peuple) »...]. Découle aussi de la pensée d'Arendt une étonnante conséquence sur l'impossibilité de définir « maternelle » une langue dans laquelle l'on n'invente plus (on ne sait plus, on ne peut plus inventer), en particulier une langue faite de clichés ou muselée par le totalitarisme (l'incontournable référence à Victor Klemperer est évidemment développée ici). Une autre réflexion essentielle de la philosophe est la richesse heuristique que seuls le plurilinguisme et la traduction sont capables d'assurer : conséquence du renversement de la perspective ontologique et phénoménologique du rapport entre langue et pensée (cf. cit. infra). De là, Barbara Cassin reprend la main dans les deux sous-chapitres conclusifs : « Les exilés, avant-garde de la condition humaine » et « Des racines aériennes », qui, en somme, relient et font dépendre la perception de l'enracinement à l'accueil du déraciné avec ses langues.


Cit. :

[Expression de la xénophobie grecque datant de l'époque de Périclès que Platon rapporte dans le Ménéxène par la voix d'Aspasie – contrairement à Barbara Cassin, je n'y vois aucune caricature mais je constate, en revanche, une effrayante modernité] :
« C'est ainsi que la bonne naissance et la liberté de notre cité sont fermes et saines et par nature pleines de haine pour le barbare, parce que nous sommes purs grecs et sans mélange de barbares. Car nul Pélops, Cadmos, Ægyptos, Danaos ou autres, par nature barbares mais par loi grecs, ne partage notre vie : nous vivons en Grecs authentiques sans mélange de sang barbare, d'où le fait que la haine pure à l'égard de la nature étrangère soit constitutive de notre cité. » (cit. pp. 75-76)

« La marque de l'exil, c'est la transformation du rapport à la langue : l'exil dénaturalise la langue maternelle. Énée ne parle plus le logos, comme Ulysse, mais une langue, entre autres. Et quand on s'installe dans une autre "patrie", on se fait "naturaliser". » (p. 85)

« Arendt souligne cette direction anti-aristotélicienne, anti-phénoménologique, anti-ontologique, qui ne va plus de l'être ou de la pensée à la langue mais, à rebours, de la langue à la pensée et à l'être :
"Tout ce pour quoi la langue dispose d'un mot existe pour la pensée. Ce pour quoi la langue ne dispose pas d'un mot échappe à la pensée. […] C'est une erreur de croire qu'une réalité pensée dans le langage est moins réelle qu'une réalité vécue non pensée. En ce qui concerne l'homme, il se pourrait bien que ce soit le contraire." » (p. 100)

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