Paru en 1998, ce premier roman « propos[ait] à l'écriture une alternative lesbienne ». Le caractère alternatif, cependant, n'est pas à rechercher dans l'histoire d'amour entre les deux protagonistes, laquelle n'est guère folichonne, ni dans la personnification de Jeanne, dont la névrose ordinaire se manifeste par une pulsion très éloignée de l'érotisme. Quoique...
« Les hommes l'apprécient parce qu'elle est inaccessible : sans se départir d'être une femme, elle ne cède pas aux canons de l'emmerdeuse saupoudrée de l'hystérie chronique propre aux filles qui veulent croire qu'on va les aimer pour autre chose que la rondeur de leurs fesses. Jeanne, au contraire, en fait le centre de sa personne et de ses conversations, attirant les mecs comme des mouches et sachant les faire baver au point que l'objet, devenu trop apparent, perd immédiatement tout intérêt réel » (p. 15).
Dans la trame de ce roman à l'eau de rose, l'heure n'est pas au queer, mais à l'identification avec les amours hétérosexuelles, jusque dans les anxiétés de la cohabitation avec partage des tâches ménagères – qui constitue la chute. Hormis un grand soin dans les descriptions érotiques, le discours amoureux lesbien n'échappe pas à la banalité qui angoissait jadis Roland Barthes dans ses célèbres Fragments. En voici un rare moment réflexif :
« Loin de la parodie ou de la reproduction de l'archétype viril, Jeanne et Zoé se consacrent à la mise en actes d'un partage des sens et des plaisirs qui leur est propre. Elles y mêlent force et volupté dans une construction identitaire, sorte d'herméneutique en érection d'une pénétration lesbotypique, exophallique. Pas si facile à définir. Elles le tentent en dépit de tout, sans forcément le savoir. Le poids de ces fantasmes que la psychanalyse – modèle parfait de la juste répartition des sexes – a sacralisés et que la pornographie a, dans le même temps, imaginés, est fort, lourd à porter. » (p. 60)
Mais ces extraits suffisent à donner un aperçu de la prose joyeusement hyperbolique, danseusement asyntaxique, expérimentalement oralo-argotico-multi-registre... Assaisonnée par une sacrée ponctuation !
De plus, j'ai particulièrement apprécié l'introduction de chapitres en italiques qui portent un complément narratif selon une perspective ornithologique, ainsi que l'insertion d'éléments d'un questionnaire psychologique sous forme ternaire : Oui-Non-Ne-se-prononce-pas, jeu ou test intitulé « Êtes-vous une bombe sexuelle ? » assorti, après calcul des points, d'une caractérisation quaternaire selon l'appartenance du lecteur à l'un des deux genres et à l'une des deux orientations sexuelles prévus...
Lecture idéale dans un contexte de détente, ou de festivités, et dans une posture comportant un angle supérieur à 116° !
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