C’est un immense coup de cœur que je vous présente aujourd’hui. Et pourtant, c’est une tâche difficile… Car comment parler de ce qui nous touche dans un poème, à plus forte raison dans un recueil entier, sans trahir l’univers du poète, sans en affadir la beauté mystérieuse ? Heureusement, l’objet d’une émotion esthétique n’est pas la vérité, ce qui fait de la poésie un genre ouvert aux inspirations les plus diverses... Au moment d’écrire ce billet, je dois dire que cette pensée me rassure.
"Efflorescences" est l’histoire d’un éveil progressif, au cours d’un voyage initiatique, qui se déploie sur trois livres : « D’amour à l’arrachée », « Des corps couchés sous d’autres lunes » et « Efflorescences ». Eveil des sens porté par la puissance érotique du poème liminaire « D’amour à l’arrachée ». Naissance et épanouissement du poète dans un poudroiement féérique d’images. Eveil de mon émotion si belle et si intense tant sa résonnance avec le cœur de l’œuvre est profonde.
Né de l’amour d’un faune et d’une dryade, dans le chant sacré d’une forêt cathédrale, le poète au « souffle de cent ans » enracine son âme dans un corps-monde, l’acmé de la fusion des corps, l’aria de la mère nourricière, l’Alma mater, qui porte vie et mort en son sein. Tantôt murmure, tantôt cri,
« les vents enfantent, ivres
Des sons et des appels »
Dans « Nu et pâle, les bras sous la tête », l’un de mes poèmes préférés – mais il y en a tant d’autres ! Comment les citer tous ? -, le poète est jeté par la force incontrôlable de l’amour dans une quête éperdue, seule réponse à un bouleversant appel intérieur, polyphonique, à la fois méconnaissable et muet, pour être celui d’un songe. Il aura fallu que celle qui le rêve ouvre les yeux sur lui peut-être, qu’elle l’habille de son regard et le nomme d’un murmure pour que cesse la course dévastatrice et que renaisse le souvenir.
« Elle m’a rêvé les yeux ouverts, elle a dit mon nom.
Je suis devenu un nuage emmargé, j’ai plu des larmes
D’eau douce, d’aquarelle. Des larmes sans pareilles.
J’ai vu son visage.
Doucement, j’ai épelé ton nom. »
Parfois la violence des images, la mort, le sang, le bruit et le mouvement sont remplacés par un léger bruissement lyrique, douce prière incantatoire.
« Les ondées, les ondées ; les ondées m’inondent.
Alma mater, les pluies dans mon cœur. »
« Alma mater »
« Les femmes, merveilleuses » sont au cœur de l’inspiration d’Ismaël Billy. Le recueil leur est dédié : de « la prophétique amante », à la femme-enfant, « reine soupirante », elle se fait tentatrice, à l’image des « Sirènes meurtrières ». Femme multiple.
« Sous ta sandale, à ton pied léger,
Je m’y ferai, comme un sanctuaire,
Une tanière, un gîte, un abri isolé,
Et je pleurerai les larmes de la mer. »
« Castigat ridendo mores »
Sur la peau du poète sont gravées les blessures invisibles des amours de jeunesse. « L’écorce tombe » - c’est le titre d’un très beau poème - lorsqu’a sonné l'heure d'apprivoiser le brasier inconnu. Douleur extatique. Dangereuse mise à nu...
« Un monde explose dans une terreur
Extraordinaire. Et la vie s’égare. »
« L’Ecorce tombe »
Quand la femme est une absence, les souvenirs affleurent, luminescente nostalgie, déployée dans une intensité magnifique :
« Et je t’ai tant souffert, ma belle dame à l’envi,
Ma profonde lumière, ma douce alanguie,
Attaché à tes lèvres, que j’y puisse mourir,
Si bref d’un seul instant, j’y puisse revenir…
« A divinis »
Les poèmes évoquent ainsi la naissance du désir amoureux et les premiers émois, le jeu des amants (« Une nuit ou un mois »), le désir inassouvi et les amours déçues, la rupture amoureuse…
« Plus qu’un pantin je suis encore à toi. »
"S’il en fut une"
« Mais aimer c’est être, être comme je le suis,
Être de tourments, de pleurs et de labeurs,
C’est vivre cent mille fois, la même mélodie,
L’éternelle sonate des airs d’entr’bonheur »
"AΦΡОδιГη"
J’aime le poème « Aux sables anciens « dont le lyrisme se déploie dans un souffle, hymne orphique, tragique et lumineux. La prière (« Les mots de l’aède ») et l’attente (« Qu’une ») apportent l’espoir, qui fait passer le poète du cri à l’abandon.
Le livre II, « Des corps couchés sous d’autres lunes », s’ouvre sur deux longs poèmes en prose, « Vampire » et « Le chevalier soudoyé ». Le poète voyage dans l’antichambre atemporelle et théâtralisée de son corps-monde, face opposée du rêve sylvestre. Il est nuit. Et l’on entend des voix de chœurs antiques. Polyphonique damnation. Sourde atmosphère des fers et cliquetis de l’enfer.
« Les os s’enfonceront, les épées bruniront, les fleurs excitées par le Sang »
"Quatuor"
Et l’on écoute Lucifer, ange déchu malheureux et blasphématoire, défiant son « petit Dieu ». « Une porte claque », « le froid tremble de sentir son souffle, le froid tremble de se sentir gelé, le froid tremble d’avoir foi » et la Mort rôde, emportant la mère et l’enfant.
« La Mort est dans l’heure d’une horloge en attente.
Sa réparation non encore amorcée, la Mort voit dans le
Mécanisme, les rouages et les résonances humaines.
Les intervalles se font plus longs, bientôt, le tic et le tac
Se rejoindront dans le néant. »
« Florebo quocumque ferar »,
dernier poème du livre II
Michel Cazenave qui a préfacé le recueil écrit : « Des efflorescences… oui, mais il faut les gagner ». Il faut être sorti indemne de ce qu’il voit comme « un voyage initiatique dans les tours et les détours de la poésie. » En effet, le livre III, « Efflorescences », est le plus grave parce qu’il pose un regard lucide sur l’Homme et sur les dérives de notre monde : individualisme, solitude, les cités-dortoirs de nos villes telles des visions éperdues de nos illusions perdues. « Les cycles, les guerres et les mêmes Hommes. » (« L’Homme couché ») « Le jour où nous aurons froid ». Et la fuite du temps…
« Quel âge ? A quel âge doit-on vieillir ? […]
N’entend-on qu’un cœur qui s’ensommeille ? »
« Premier jour »
"Efflorescences" est une œuvre contemporaine importante et je remercie du fond du cœur son auteur, qui m’a offert cette magnifique lecture en me confiant son recueil. J’ai passionnément aimé mon immersion dans ses méandres poétiques. L’écriture tantôt sensuelle et enveloppante, tantôt violente, m’a bouleversée, traversée de part en part, habitée. Et paradoxalement, il m’a fallu beaucoup de temps pour mettre en mots mon ressenti.
« Quelques fois dissonants, les mots sont une efflorescence. » écrit Ismaël Billy. Je crois que cette dissonance m’intimidait...
Si vous aimez la poésie, je ne peux que vous recommander de lire "Efflorescences". Lumineuses efflorescences…
Quelques mots sur l’auteur :
Héritier d'une double culture franco-égyptienne, Ismaël BILLY est un poète et écrivain, né à Lyon en 1987. Ancien danseur classique, chanteur lyrique en formation, il est un artiste polymathe aux multiples nourritures esthétiques. (Source : L’Ivre de Lire)
Pour retrouver ma critique sur "A Fleur de mots" :
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