La discrétion grandit le poète Jean-Pierre Lemaire, si peu médiatisé, produisant une œuvre au compte-goutte mais tant attentive au monde dans lequel, passager habité, il passe. Il faudra bien se résoudre à céder la place à ceux qui viendront bientôt prendre le relais, par la force des choses et la finitude de l’existence. Son dernier recueil, « Faire place » (2013) est un modèle de concision, de limpidité et de sincérité. Sur quatre-vingt-dix pages, les poèmes effeuillent la vie c’est-à-dire qu’ils amènent le lecteur à soulever la fine pellicule foliacée du monde pour y sentir battre un cœur à l’unisson. Sous l’apparente simplicité des mots se déploie, dans le dernier vers du poème, le léger tremblement qui fait tanguer la vue et vibrer la vie. Composé de six chapitres (« Un pont sur la mer » ; « Derniers jours » ; « Mystères lumineux » ; « Le printemps des hommes » ; « Les nouveaux venus » ; « Poèmes pour la fin des temps »), le livre laisse une large part à la mythologie et à la bible (« L’automne d’Hercule » ; « Luc » ; « Les servants de Cana » ; « Matthieu » ; « Simon de Cyrène », etc.) mais le poète rend actuelle et vivante l’histoire antique, sans nulle pesanteur. A l’inverse, on peut parler de légèreté, voire de lévitation tant le vers est aérien, flûté et pourtant totalement ancré dans la pâte humaine et l’épaisseur du quotidien (« En bas, la terre chaude et la vie humaine,/complexe, enchevêtrée… »). A mesure, l’auteur n’hésite pas à évoquer avec finesse et pudeur sa vie, ses voyages, son travail au Lycée Henri-IV, son départ à la retraite. Le deuxième poème du recueil intitulé « Soleil d’hiver » est d’une beauté absolue. Il suscite une émotion rare, un sentiment né de l'émerveillement face aux images qui défilent, transparentes, évidentes, passant de l’aurore : « Le soleil émerge et te tend la main » à la vieillesse d’un homme aux mains peut-être tavelées dont il pourrait avoir honte : « mais tu caches tes mains. Alors lui retire/peu à peu la sienne en montant ; il éclaire/seulement le monde, et ton cœur reste obscur ». Il faudrait restituer tout le poème pour en saisir le balancement ailé tant le phrasé coule de source, de la meilleure eau qui soit, celle émanant d’un homme humble et serein en quête des mystères du monde qui le dépasseront toujours.
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