Un livre sorti il y a dix ans, que je viens de lire avec grand intérêt
Je viens de trouver une critique remarquable de ce travail. La voici, in extenso.
Jean Sévillia est l'auteur d'essais qui ne m'ont jamais laissés insensibles, au contraire, fort appréciés et commentés sur ce site : Quand les catholiques étaient hors la loi et Le terrorisme intellectuel : De 1945 à nos jours. Ce n'est pas son appartenance au "Figaro Magazine" qui me le rend sympathique, ayant pour cet hebdomadaire conservateur bourgeois et son pendant à gauche le "Nouvel Observateur" autant d'affinités que l'eau pour le feu. L'auteur, qui n'est pas historien, entreprend d'apporter des notes différentes, argumentées, à la mémoire souvent oublieuse et manipulée, univoque, que nous avons de certains temps forts de notre Histoire. Le propos aura donc toujours pour finalité de choquer nos présupposés. Se repositionner en questionnant l'Histoire, ses événements, la replacer dans son époque, afin de se garder de tout jugement a priori est une entreprise salutaire. Cet ouvrage y parvient sur de nombreux points avec cependant les défauts liés au mode opératoire ; parfois l'approche exagère trop certains points de vue, minorant son contraire. Si l'ensemble de l'ouvrage m'a plu, validant par ma culture historique les chapitres abordés, un seul passage m'a été de lecture pénible, celui intitulé "Résistance et collaboration".
- la "féodalité" dans l'essor du Moyen-âge est bien présentée. Les sources historiques sont raisonnées. La dénonciation de mythes apparus pendant les "Lumières" et le 19° siècle sonne juste. La mise en perspective du servage est bien saisie.
- "Les croisades" : rien à redire.
- "Les cathares et l'inquisition médiévale" : très bonne explication du catharisme, de son influence néfaste, de son nécessaire bannissement et du prétexte de ce dernier pour lutter, chez certains, l'Eglise catholique. "La croisade contre les albigeois, conflit politico-religieux, est intervenue après la résorption pacifique du catholicisme. C'est omettre que l'hérésie, à l'époque, constitue un crime social. Et c'est taire enfin que l'effort missionnaire, au même moment, ne s'est jamais interrompu." (p.59).
Sévillia précise par ailleurs que l'Inquisition recouvre en fait une pluralité : il y en eut trois. Les crimes commis en son nom furent bien moins nombreux que ceux, à ces époques, de la chasse aux sorcières. Je reproche cependant à l'auteur d'occulter l'esprit même du catholicisme qu'il veut défendre. En pharisien, il passe à côté de l'essentiel sur le plan spirituel, pour ne relativiser que la matérialité de l'expression historique. Catholique, je ne puis que partager la position de l'Eglise telle qu'exprimée, je cite :
« Saint Augustin et saint Thomas d'Aquin, entre autres, ont accepté et cru justifier le principe inquisitorial de la persécution religieuse parce qu'ils ont été conditionnés par leur contexte culturel qui, en l'occurrence, était une structure de péché obscurcissant la conscience morale non de l'Eglise mais de leur milieu chrétien historique. Par son acte de repentance dans ce domaine, l'Eglise signifie qu'ils ne sont pas saints et docteurs à cause de cela mais malgré cela. Jean-Paul II a lui-même rappelé, le 3 septembre 2000 lors de la béatification du pape Pie IX, qu'en « béatifiant l'un de ses fils, l'Eglise ne glorifie pas les choix historiques particuliers qu'il a faits, elle propose plutôt qu'il soit imité et vénéré pour ses vertus en célébrant la grâce divine qui brille en elles ». (source DICI.org). Je reproche à Sévillia ce "pharisianisme" qui m'a agacé.
- "L'Espagne et le Rois catholiques" : d'accord sur l'analyse. Intéressantes informations sur les relations entre chrétiens et juifs, d'une part et musulmans d'autre part.
- "Les guerres de religion" : pas de remarque particulière. L'analyse est juste quand la religion servit de prétexte aux grands seigneurs pour se combattre sur le terrain de la suprématie politique. L'autorité royale devait savoir s'imposer pour faire taire les dissensions politiques qui mettaient en danger la paix et la souveraineté du royaume.
- "L'ancien régime" : il est bon de rappeler que "l'instruction obligatoire date de Louis XIV et non de Jules Ferry" (p.142) Sévillia a raison de souligner également que la monarchie veilla au renouvellement de la noblesse - axe de politique royale exprimant la reconnaissance aux serviteurs de la nation. (p.145)
- "les Lumières et la tolérance" : il s'agit de l'un des meilleurs passages du livre. Les préjugés, très nombreux, sont déboulonnés les uns après les autres dans les rires et les grincements de dents. L'élitisme, l'intolérance, le sectarisme préfigurent la Terreur révolutionnaire. "Il est à propos que le peuple soit guidé, et non pas qu'il soit instruit, il n'est pas digne de l'être" - Voltaire. (...) "Gabriel-François Coyer, auteur d'un 'Plan d'éducation publique' (1770), note que sur 5.160 élèves des collèges de Paris, 2.460 sont des enfants du peuple : il propose de les renvoyer à leurs parents. Dans ses 'Vues patriotiques sur l'éducation du peuple' (1783), Philippon de la Madeleine, autre philosophe, exprime le voeu que l'usage de l'écriture soit interdit aux enfants du peuple. Le peuple des Lumières, le peuple idéal, c'est le peuple sans le peuple". - p.162
Le fanatisme, bien entendu, était attribué exclusivement, de manière fanatique, à l'Eglise catholique au travers de ses dogmes. Le lecteur qui ignore que l'Eglise seule n'était pas visée, apprendra que l'antisémitisme était vivace chez ses porteurs de "lumières". "Vous ne trouverez en eux [les juifs] qu'un peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition et à la plus invincible haine pour les peuples qui les tolèrent et qui les enrichissent." - Voltaire (...) Sur les racines de cette hostilité à l'encontre des Juifs, le cardinal Lustiger avance cette double clé explicative : "Voltaire n'est pas chrétien et je crois que l'antisémitisme de Hitler relève de l'antisémitisme des Lumières et non d'un antisémitisme chrétien". Léon Poliakov a également montré que le rationalisme scientifique des Lumières constitue une des sources du racisme nazi." - p.165
- "La Révolution et la Terreur" : Très bonne analyse. Pour ma documentation je retiens : "'Le mot aristocrate signifie, en général, un ennemi de la Révolution, signale Thomas Paine. On en use sans lui donner la signification particulière qui s'attachait autrefois à l'aristocratie.' Macabre comptabilité, les études statistiques montrent que les guillotinés étaient à 31% des ouvriers ou des artisans, à 28% des paysans, à 20% des marchands ou des spéculateurs. Les nobles et les ecclésiastiques n'ont respectivement fourni que 9% et 7% des victimes" - p.197
- " la Commune de 1871" : excellente analyse. Je note que le colonel Rossel qui tenta d'organiser la défense militaire de la Commune, et qui démissionna peu de temps après sa prise de fonction, s'exprima : "Je cherchais des patriotes, j'ai trouvé des gens qui auraient livré les forts de Paris aux Prussiens plutôt que de se soumettre à une autorité." -p.219
- "Catholiques et ouvriers" : remarquable chapitre qui évoque le combat des catholiques sociaux, du bienheureux Frédéric Ozanam, dont nombreux étaient royalistes, contre les libéraux (qui pouvaient également être des catholiques - ce que ne laisse pas forcément comprendre Sévillia, les assimilant un peu trop rapidement aux descendants des Lumières) et autres gens de gauche (cf. Le complexe d'Orphée : La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrèsde Jean-Claude Michéa), exprimant une défense des droits des travailleurs seuls ou aux côtés de socialistes véritables, mais proposant un modèle durable : "Ce n'est pas le combat entre l'employeur et l'employé qui doit être le but, mais une paix équitable entre les deux" - Mgr. Ketteler, 3 ans avant "Le capital" de Karl Marx, dans "La question ouvrière et le christianisme", critique les méfaits d'un système économique reposant sur la libre concurrence absolue et prônant l'association du capital et du travail. p.240 Sans oublier l'encyclique "Rerum Novarum" du Pape Léon XIII publiée en 1891 qui combat le libéralisme et est d'une étonnante actualité.
- "L'abolition de l'esclavage" : très bon chapitre également (cf. les travaux de Olivier Pétré-Grenouilleau Les traites négrières : Essai d'histoire globale).
- "1900 : antisémites, antimilitaristes et anticléricaux" : l'antisémitisme était également réparti, à gauche comme à droite contrairement aux légendes véhiculées par la gauche. L'analyse de l'Affaire Dreyfus est fine, distinguant avec pertinence, dreyfusiens, dreyfusards et dreyfusistes.
- "Le pacifisme de l'entre deux-guerres" et "fascisme et anti-fascisme" : lire Un paradoxe français : Antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance de Simon Epstein et La dérive fasciste : Doriot, Déat, Bergery 1933-1945de Philippe Burrin.
- "Résistance et collaboration" : très mauvais chapitre, à la limite de l'insulte. A lire Sévillia, c'est grâce au régime de Vichy que les Juifs ont été aussi bien protégés. Je force bien entendu un peu le trait. Il passe totalement à côté de l'esprit de la Résistance, ne mentionnant pas même le CNR. Il insiste sur les dissensions de la Résistance, distinguant les mouvements gaullistes, communistes, vichystes (!) - alors qu'il s'agissait en réalité pour certains mouvements, de maréchalistes. La soupe est infecte. Sévillia est passé à côté du sujet, se propulsant dans le rôle d'avocat de Pétain. C'est tout dire. Ce chapitre m'a offensé sur le plan de la connaissance particulière que j'ai de cette époque (une soixantaine d'ouvrages commentés sur ce site sur la Résistance).
- "L'affaire Pie XII" : très bonne synthèse sur le remarquable et obligé dans la discrétion engagement du Pape dans le sauvetage de centaines de milliers de Juifs. La polémique à son encontre est mensongère. La démonstration est claire. Lire en complément Pie XII et la seconde guerre mondiale de Pierre Blet.
- "La décolonisation" : idem. Lire en complément Pour en finir avec la repentance coloniale de Daniel Lefeuvre
- "La guerre d'Algérie" : idem.
L'auteur conclut avec raison : "Cultivant le dénigrement du passé, l'historiquement correct constitue un symptôme d'une maladie trop répandue : la haine de soi.(...) L'historiquement correct est un révélateur : il reflète la perte de valeurs communes au sein de notre société." (p.437). Il est important en effet de dépassionner l'Histoire, de la connaître et de la comprendre. Elle tisse notre patrimoine commun.
A l'exception du très tendancieux et honteux chapitre sur la "Résistance et la collaboration", par trop simpliste et fleurant les thèses de Benoist-Méchin, historien, ministre collaborateur de Pétain, que je noterai 1 étoile, et de la distinction spirituelle à opérer sur l'Inquisition, l'ouvrage de Sévillia mérite une lecture intéressée - qui explique ma note globale de 4 étoiles.
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