[Femen | Anna Houtsol, Inna Chevtchenko, Oksana Chatchko, Sacha Chevtchenko avec Galia Ackerman]
À l’instar sans doute de mes chères bibliothécaires qui ont placé le livre sur un des présentoirs des nouveautés, j’ai été attiré par ce groupuscule féministe ukrainien résolument contestataire appelé Femen parce qu’il est devenu la coqueluche des médias français. La couverture du livre est attrayante non moins que les « actions » éclatantes des quatre jeunes et belles fondatrices, qui ont fait leur image de marque du topless bariolé de slogans et des couronnes de fleurs exhibés pendant leurs fulgurantes manifestations protestataires.
Les formes nouvelles de la contestations politique, la critique sociale féministe, le questionnement sur l’appropriation de son corps et de l’image de ce dernier liée au potentiel expressif et transgressif de son érotisation ou dés-érotisation conscientes, dans la vie sociale et pas uniquement en art, tout cela m’intéresse beaucoup. Au sujet du groupe Femen, malgré mon estime pour la plupart de leurs idées et de la bienveillance à l’égard de leur posture, je nourris un certain scepticisme concernant : la nature disparate de leurs revendications parfois assez éloignées du féminisme (par ex. prises de position antimusulmanes et antichrétiennes), certaines contradictions dans ce que je considère comme de l’infantilisation de la femme (par ex. campagne d’interdiction légale de la prostitution), surtout une ambiguïté subie et entretenue dans leurs rapports aux médias et à ce qu’elles qualifient de « patriarcat ». J’ai voulu connaître l’histoire et le parcours de ces jeunes filles ; cet ouvrage autobiographique, récit oral à quatre voix dirigées, organisées et traduites par la journaliste Galia Ackerman m’a fourni quelques aspects de cette connaissance tout en renforçant mon scepticisme.
M’apparaît désormais le prégnance du cadre de vie post-soviétique dans lequel elles ont péniblement grandi, le côté impromptu et encore fort peu théorisé de leurs « actions » (en dépit de la personnalité d’Anna Houtsol, l’« idéologue »), et la nature de leurs revendications, révoltes d’adolescentes d’abord mais accompagnées très vite de la découverte du succès médiatique provoqué par les seins nus et les réseaux sociaux. Victimes de ce succès autant que de l’ébriété des tracasseries policières subies dans un contexte politique antidémocratique, elles n’ont pas échappé à trois pièges d’instrumentalisation : en France (où deux d’entre elles vivent désormais), à l’affiliation problématique à des figures politico-médiatiques dont elles ne connaissaient pas réellement l’identité (« Ni putes ni soumises », Caroline Fourest, etc.) ; à la transformation de leurs « actions » en « performances » d’art corporel – aussi politiques, transgressives et contestataires que ces dernières savent l’être – ; enfin à ce que ce soit justement le voyeurisme et le fétichisme du « patriarcat » qu’elle croient combattre à mort, ce qui les fait vivre… J’insiste sur le fétichisme : une théorisation et une réflexion sur la poitrine dénudée (absentes) sont l’exact opposé de la vente, pour soixante-dix dollars sur le site internet de l’association Femen, de moulages autographiés des splendides seins des émeutières !
(Sans doute faut-il leur laisser le temps de grandir pour le comprendre, ajoute le bon vieux ronchon qui écrit.)
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