[De la révolution aux révoltes | Jacques Ellul, Frédéric Rognon]
Ellul poursuit ce qu'il avait commencé dans "autopsie de la révolution". Ici, il démontre que la révolution ne peut plus exister en société technicienne, et que seule la révolte existe et fait sens pour changer le quotidien. Sauf que la révolte ne permet absolument pas de changer de société, puisque celle-ci assimile tout révolte.
Première partie : Mais où sont les révolutionnaires?
I - Fin de l'Occident révolutionnaire.
Très intéressant, Ellul démontre que l'Occident n'est plus révolutionnaire depuis longtemps.
II - Le tiers monde.
Les intellectuels, ayant compris et intégré que l'Occident n'était plus révolutionnaire (mais refusant de le dire, car il faut maintenir les hommes dans l'illusion politique), placent leur espérance dans les révolutions des peuples du tiers-monde, souhaitant que celles-ci atteignent l'Occident. Ellul démontre que leurs révolutions ne peut absolument pas nous atteindre.
III - La révolution culturelle chinoise.
Chapitre qui m'a le moins passionné, je ne l'ai d'ailleurs pas fini. Ellul revient sur Mao et ce qu'il a fait en Chine.
IV - Révolution et contre-culture.
On nous dit que la révolution doit être culturelle. Qu'est-ce que cela signifie? Et qu'en est-il vraiment? Ellul revient sur le nazisme, qui était vraiment une révolution, ainsi que sur ses origines. Il revient aussi sur la révolution américaine. Indispensable pour connaître les mécanismes de l'émergence de la société nazie, et éventuellement faire des parallèles avec notre situation contemporaine, même si notre situation n'est pas la même (les mécanismes, eux, se ressemblent vraiment).
Deuxième partie : De la révolution à la révolte
I - Sans fins ni moyens.
Nos projets révolutionnaires n'ont aucun but (il ne s'agit au fond que de réformes) et aucun moyen (parce que nous ne voulons pas payer le prix de nos convictions). Il va sans dire que tout projet révolutionnaire se meurt dans l'oeuf.
II - De la révolution impossible au renouveau de la révolte.
Seule la révolte peut avoir du sens, mais il convient de bien en saisir les limites et l'inutilité fondamentale.
Un extrait :
<<Je peux formuler comme une véritable loi, que plus la société est technicienne, plus elle est insupportable à l'homme - plus elle le provoque au refus, à la volonté de changer, donc à des tendances révolutionnaires. Mais en même temps, plus elle est technicienne, plus elle rend la révolution impossible, et bloque toute réalité révolutionnaire. Cette contradiction se résout alors en une multitude de révoltes, comme un joint mal serré laisse fuir la vapeur dans le conflit entre le piston, le cylindre et le gaz.
La révolte peut à la rigueur détruire un régime, mais elle n’entraîne pas plus, aujourd'hui, de conséquence que, sous l'Empire romain, le complot de Palais qui assassinait un Empereur pour mettre à sa place un général aussitôt perverti. Il ne s'agit plus de révolution. La révolution nécessaire est bien autrement profonde, secrète, complexe, et met en cause maintenant une telle dimension de l'homme et de la société que je n'en vois pas la réalisation possible, étant ce que nous sommes, et notre monde si certain de ses puissances. La révolte est encore possible mais ne conduit que vers un renforcement des pouvoirs, un remplacement des autorités attaquées par d'autres plus subtiles, un perfectionnement de la société, de l'Etat - car elle se heurte à des hommes et des institutions de bonne volonté. "Vous êtes révolté? Mais comment donc! assurément vous avez de bons motifs pour l'être. Nous accueillons votre révolte et votre contestation. Quels sont vos objectifs? Nous allons mettre ne place les organismes pour les réaliser. Car il y a du bon dans vos exigences et vos protestations. Vous n'êtes ni nos ennemis ni un vrai danger. Vous avez vos raisons : nous sommes là pour les comprendre. La grande maternelle société technicienne mettra en oeuvre ses appareils pour interpréter, pour assumer ce que, si maladroitement, vous tentez de dire par votre clameur indistincte". Ainsi, chaque fournée de révolte, accueillie puis investie, sert à perfectionner cette société-ci, en enlevant au révolté l'immédiate cause ressentie par lui comme l'élan vers sa révolte et vers sa liberté. Le malentendu reste béant. Car, il est bien vrai que dans ce mouvement indistinct et maladroit de la révolte, le révolté ne sait plus rien exiger quand le point précis qui le blessait a été soigneusement limé, quand sa blessure a été maternellement soignée - et pourtant rien n'est changé, sinon que le système est un peu plus clos, parce que suscitant moins de douleur.>>
Et devant la question : eh ben dans ce cas, que devons-nous faire? Ellul répond :
<<Je ne puis me substituer à personne pour sa décision personnelle. Je ne peux engager personne à faire l'économie de sa propre expérience, de son propre chemin, de l'exercice de sa lucidité. J'ai peut-être fourni une carte, peut-être une boussole - certainement des critères où chacun peut critiquer son action et son estimation -, des repères à partir desquels chacun peut évaluer sa route, s'il navigue à l'estime. J'ai peut-être montré la configuration actuelle de l'échiquier. Si notre société est close, l'histoire ne l'est pas - et l'extérieur de l'histoire moins encore. Pour chacun restent devant lui le Vouloir et le Faire.>>
J'ai écrit un article sur wikipedia au sujet de ce bouquin :
http://fr.wikipedia.org/wiki/De_la_R%C3%A9volution_aux_R%C3%A9voltes (susceptible de modifications)
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