Quand le meurtrier est porté par la force terrifiante du désespoir de vivre, par une intelligence particulièrement tranchante et totalement amorale, qu’il frappe précisément, de façon aléatoire, avec une cruauté inouïe, on sait que le limier Harry Hole, démissionnaire de la brigade criminelle d’Oslo, en perdition dans la mégapole de Hong Kong, va connaître un douloureux chemin de croix. Traumatisé par sa précédente enquête policière, Harry n’est plus qu’une ombre parmi les ombres et pourtant Kaja Solness, dépêchée par Gunnar Hagen dans la cité cosmopolite, va le retrouver et le ramener dans la capitale norvégienne sur le prétexte que son père se meurt à l’hôpital. Pourtant, il va reprendre l’affaire des meurtres en série, aidé par Kaja et Bjorn Holm. La piste est mince et ne tient qu’à un fil, plus exactement une corde avec laquelle la dernière victime a été pendue et décapitée. Holm a étudié les fibres de la corde et découvert des minuscules coquillages. Les fibres sont faites à partir du tilleul et de l’orme. Il est alors possible de retrouver le lieu où a été fabriquée la corde artisanale et de remonter jusqu’à l’assassin. Seulement l’équipe de Harry Hole agit incognito, sans aucune couverture ni soutien. Elle ne peut pas perquisitionner. En Norvège, une police parallèle, la Kripos, a les faveurs du gouvernement et mène le bal. Son chef, Bellman, déteste Hole. Lorsqu’ils se croisent sur une scène de crime, Harry est frappé par « la haine dans son regard fixe, une haine si puissante que Harry crut la sentir physiquement, comme quelque chose de dur et de blanc ». Bellman est assoiffé de pouvoir et n’a que mépris pour les faibles. Rapidement, la Kripos est mise au courant de l’enquête parallèle menée par Hole. Hagen, sommé par Bellman d’arrêter les frais, enjoint Harry et son équipe à cesser toute investigation sous les quarante-huit heures. Avec l’aide précieuse d’une ancienne collègue internée, pisteuse hors pair à partir des fichiers informatiques, Harry fait le lien entre les victimes, une randonnée à ski et une nuit passée en refuge. Harry se précipite chez une victime potentielle. Trop tard ! Il la retrouve, bâillonnée et collée à la Super glu dans sa baignoire, l’eau coulant lentement et finissant par la noyer. A chaque fois, le « soupirant » [nom par lequel les policiers le désigne] aura une longueur d’avance sur les enquêteurs. Il prévoit leurs avancées et mine le terrain. Sa relation avec Harry Hole semble presque fusionnelle. Il semble attendre une délivrance du policier mais il s’esquive et grandit en perversité à chaque estocade. Dans l’arène du bien et du mal, le démon mène le sabbat et Harry, ange déchu, prend des coups, chancelle et tout au bord du gouffre, titube et lutte encore avec l’énergie du désespoir.
Jo Nesbo a construit un thriller dûment charpenté sur 760 pages. Découpé en dix parties, quatre-vingt-quinze chapitres titrés et un épilogue, le roman est parfaitement maîtrisé. L’histoire avance sans jamais piétiner. L’intrigue est suffisamment ourdie pour que l’attention reste tendue de bout en bout. Le tueur pourrait être incarné dans plusieurs personnages tant les pistes convergent et les profils se superposent. Des scènes de bravoure pimentent le récit. Il y a du MacGyver chez Harry Hole notamment lorsqu’il utilise un bâton de ski afin de respirer sous une avalanche. Le lecteur ne regrette pas tout ce temps passé en Norvège, au Congo, à Hong Kong. Le léopard observe, feule, bondit et lacère sa proie. Il ne fait jamais tache dans le paysage. Indomptable, inflexible, insaisissable, il renaîtra de ses cendres comme le phénix des légendes ou la noirceur dans le cœur des hommes.

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