[Tex. Spécial n° 23, Patagonie | Gianluigi Bonelli ; Aurelio Galleppini]

Pas de coup de chapeau au traducteur du sombre héros qui manque de correction vis-à-vis du grand Tex ! Nonobstant l’édition prestigieuse dont bénéficie à juste titre le ranger texan, des coquilles par-ci par-là sont la preuve soit d’une réelle désinvolture, soit d’une carence aiguë en orthographe et en conjugaison. Il suffirait déjà simplement de connaître les règles qui régissent l’infinitif et le participe passé en français pour qu’un bon tas de fautes glissent toutes seules à la trappe. Cette remarque énervée en préliminaire, il ne reste plus qu’à s’extasier face à l’œuvre de papier de Boselli et Frisenda, dignes successeurs de Bonelli et Galleppini, les créateurs de la série.
Un émissaire du commandant argentin Ricardo Mendoza, ami lointain de Tex, vient présenter une requête écrite afin de solliciter l’aide du ranger. Il s’agit de permettre la colonisation pacifique de la Pampa occupée par des tribus autochtones, les Tehuelches, les Ranqueles et les Mapuches. Fort de son amitié avec le cacique des Tehuelches, Mancuche, Mendoza souhaiterait que la conquête « del Desierto » se fasse sans heurt, dans le respect de chacun alors qu’une bonne partie de l’Etat-major argentin souhaite utiliser la force afin de soumettre les aborigènes par le feu, le fer et le sang. Tex et son fils Kit vont se lancer dans l’aventure. Sur place, les explorateurs de l’expédition militaire sont des gauchos, pour la plupart des sang-mêlé, « l’équivalent des cow-boys et des vaqueros », sous l’autorité de Tex, promu capitaine en la circonstance mais rien ne va de soi. Il faudra tout d’abord gagner leur confiance et leur respect, dans l’art de chevaucher, de manier les bolas ou de combattre. Une bataille remportée sur le chef de guerre Calfucura et les revers arrivent avec les amis morts, les rivalités explosives et les situations imprévues. Dans l’armée argentine, les promotions ne s’acquièrent pas toujours sur la valeur morale des individus mais aussi sur leur cruauté, leur aveuglement et le dévouement servile dont ils savent faire preuve à l’égard des hauts gradés et des grands propriétaires terriens. Ainsi le capitaine Diego Recabarren ou le major Belmonte, racistes et belliqueux, promus par le nouveau chef des armées, se montreront-ils particulièrement retors. L’ultime bataille, dans le défilé du Condor, entre les plus valeureux guerriers indiens menés par leur chef Sayelque et Tex face à des militaires nombreux, organisés, déterminés, disposant de canons est incertaine et meurtrière. Le but des Indiens est de permettre à leurs familles de franchir la Cordillère des Andes et de rejoindre les tribus amies du Chili.
Une nouvelle fois, l’aventure du ranger texan est passionnante. Elle s’intègre dans l’histoire souvent méconnue de la conquête du sud de l’Amérique. Le scénario est particulièrement bien ficelé avec ses dénouements par étape et ses retournements de situation. Il n’y a aucun temps mort et tout est plausible hormis la présence légendaire de Tex. Les Tehuelches sont très présents et ne sont jamais caricaturés. Pourtant, l’intérêt majeur de l’album ne réside pas exclusivement dans une histoire bien documentée et menée de main de maître mais dans le dessin magnifique de Pasquale Frisenda (né à Milan en 1970) que l’édition grand format restitue impeccablement. La précision et la fluidité de son trait sont exaltées par une utilisation magistrale du clair obscur. Les scènes nocturnes, elles sont nombreuses, laissent le lecteur bouche bée d’admiration. D’ailleurs, la lecture achevée, on revient en arrière afin de plonger à nouveau dans des atmosphères noires, tendues et fascinantes. Nul doute que Patagonie constitue une manière remarquable d’aborder la légende de Tex Willer. On chevauche dans l’épopée que l’œuvre au noir de Frisenda transfigure idéalement. Les armes remisées, il ne restera plus rien de la Pampa « vidée de ses habitants et de ses esprits ancestraux qui l’avaient peuplé[e] depuis la nuit des temps. » Les Blancs arrogants « les ont envoyés sans procès et pour l’éternité dans les limbes de l’oubli des « desaparecidos » comme le rappelle dans son éclairante introduction Renato Genovese.

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