Premier roman (précoce) de cette auteure migrante venue du Sénégal. Nous lui devons un "récit de migration" où l'auteure s'identifie largement avec la narratrice, mais dont le thème n'est presque pas sa propre migration, mais celle qu'elle s'emploie par tous les moyens à épargner à son frère, en dépit des nombreuses sirènes qui retentissent dans son petit village insulaire. A partir de ce personnage fraternel et de son obsession du football, véritable emblème dans la mythologie de la migration - et là réside sans doute le côté le plus original du roman -, une variété de personnages secondaires du village se déclinent par rapport à leur posture face à l'émigration vécue et/ou fantasmée, sous forme d'épopée (ou de palabre) villageoise : l'instituteur idéaliste exilé, l'homme de Barbès, le vieux pêcheur, la grand-mère, les copains du frère.
Souvent dans les premiers romans d'auteurs migrants, le poids autobiographique mêlé au besoin du témoignage endigue le flux d'une véritable "poétique de la migrance". Celui-ci ne fait pas exception. De plus, une certaine "primeur" stylistique peut être perçue par des sauts de registre et autres écarts apparemment pas entièrement maîtrisés.
Pourtant, en partielle contradiction avec mes propos sur l'autobiographique, je m'aperçois avec plusieurs jours de recul que les citations que j'ai retenues et que voici, y sont toutes afférentes (mais, plus que d'une contradiction, cela relève sans doute de mes propres intérêts) :
« Irrésistible, l’envie de remonter à la source, car il est rassurant de penser que la vie reste plus facile à saisir là où elle enfonce ses racines. Pourtant, revenir équivaut pour moi à partir. Je vais chez moi comme on va à l’étranger, car je suis devenue l’autre pour ceux que je continue à appeler les miens. » (p. 190)
« Le petit carton de la nationalité ne se colle pas sur le front ! A moins de se tailler des tchadri dans le drapeau de Jeanne d’Arc, ils n’ont aucun moyen de convaincre les défenseurs de la préférence épidermique de leur légitimité tricolore. » (p. 202)
« Enracinée partout, exilée tout le temps, je suis chez moi là où l’Afrique et l’Europe perdent leur orgueil et se contentent de s’additionner : sur une page, pleine de l’alliage qu’elles m’ont légué. » (p. 210)
« L’écriture est la cire chaude que je coule entre les sillons creusés par les bâtisseurs de cloisons des deux bords. Je suis cette chéloïde qui pousse là où les hommes, en traçant leurs frontières, ont blessé la terre de Dieu. » (p. 295)
« Je cherche mon pays là où on apprécie l’être-additionné, sans dissocier les multiples strates. Je cherche mon pays là où s’estompe la fragmentation identitaire. […] Je cherche mon territoire sur une page blanche ; un carnet, ça tient dans un sac de voyage. » (p. 295-296).
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