Un vieux morceau de peau de ...brontosaure, et le souvenir d'un aïeul qui fit fortune en Patagonie, voilà ce qui décida Bruce Chatwin à quitter l'Angleterre . Le brontosaure se révèlera être un mylodon ou paresseux géant, espèce éteinte depuis seulement dix mille ans, quant à Charley Milward l'arrière petit cousin de Bruce, ses traces retrouvées en Patagonie raviront son descendant.
Bruce Chatwin n'appartient pas à la troupe des globe-trotters préssés, ceux qui se font sponsoriser par Décathlon ou Total, ceux qui ont déjà vendu les photos, leur futur livre, et leurs considérations géo politiques avant d'avoir mis le pied sur la terre désirée...Les périgrinations de l'auteur sont surtout l'occasion de rencontres d'argentins et chiliens tous plus "déjantés" les uns que les autres , des personnages qui ne dépareraient pas dans les récits de Francisco Coloane. Terres d'émigration, la Patagonie et la Terre de feu, ont accueuilli tous les deseperados de la vieille Europe,anarchistes,paysans chassés par la famine,hors-la-loi yankees...; Chatwin se fait inviter chez leurs déscendants dans des estancias perdues où dans des masures de toits de tôles ,sirotant le maté ou faisant honneur à un "asado" de mouton.
Le lecteur aura ainsi le bonheur de faire connaissance avec des personnages "hors normes". Le voyage de Chatwin se déroulant dans les années 70, Allende vient juste d'être renversé, les derniers témoins des épopées sauvages de Butch Cassidy ou du "cochon rouge" (un fanatique tueur d'indiens du début du 20e siècle), sont encore vivants. Chatwin les "cuisine" tout en réservant ses jugements moraux, si ce n'est que l'on sent bien perçer dans sa prose toute l'amertume ressentie par le déferlement de violences , tant contre les indiens (là on peut vraiment parler de génocide ! ), qu'à l'encontre de la "nature".
"En Patagonie" est, je crois, un des premiers livres de Bruce Chatwin ; déjà l'on sent toute la passion du futur "routard céleste" pour le nomadisme et le cheminement à pas lent sous les étoiles...Et ceci écrit dans un style qui est le contraire de celui d'un guide de voyage.

PASSAGES CHOISIS.

Chatwin est invité chez une femme russe émigrée.
"Elle m'attendait, visage blanc derrière une fenêtre poussiéreuse. Elle souriait, sa bouche peinte déployée comme un drapeau rouge pris dans une brise soudaine. Elle se teignait les cheveux en auburn foncé. Ses jambes étaient une Mésopotamie de veines variqueuses. Il lui restait des lambeaux d'une beauté extraordinaire " .

et aussi ce raccourci poètique et évocateur...
" La veille, j'avais croisé les religieuses du couvent de Santa Maria Auxiliadora visitant la colonie de manchots du Cabo Virgenes. Un plein car de vierges. Onze milles vierges. Environ un million de manchots. Du noir et du blanc. Du noir et blanc. Une symphonie en noir et blanc " .

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[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur Wikipedia]

Bonjour amiread one,

Merci pour ta note de lecture concernant le beau Bruce. Tu as raison. Il s'agit de son premier livre publié en 1977 qui a été un succès. La déambulation de l'auteur en Patagonie suit une sinusoïdale aléatoire et opère la découverte d'une région démesurée au gré des rencontres et des rêveries. A l'époque, eh oui, j'avais enchaîné la lecture de Chatwin avec celle de Hudson, "Un flâneur en Patagonie" et j'avais une envie folle de parcourir à pied le sud du Chili, les tours du Paine, la Terre de feu, Chiloé...
Il fallait aller dans cette région il y a trente ans. Maintenant, avec la disparition de la couche d'ozone, les cancers de la peau ont le champ libre. Attention au nouveau roi ! Voici venu le temps du grand naevus ! Tous aux abris !

Bonne semaine.

Franz

Salut Franz.
Dans Patagonie il y a ...agonie ; c'est peut-être ce à quoi nous sommes convié dorénavant. Assister à la mort lente de nos désirs "d'ailleurs" par l'inéluctable avancée du "progrès". Je connaissais le problème des cancers de la peau dans le sud de l'Argentine et du Chili (cf couche d'ozone ) ; comme cela pas de jaloux puisque nous avons les nôtres : ceux causés par toute la prolifération des "...cides" ....
Ah mon pauvre Franz , que n'étions nous pas nés trente ou quarante ans plus tôt ! nous aurions déjà bénéficié d'un certain progrès technique , mais les ravages dudit progrès n'auraient pas encore altéré paysages,faune,flore,population... Allez, je sais bien que ce sont là rêves de songe creux égoïste
D'ailleurs je me mets à la place des autres "agoriens" , nos échanges doivent (peut-être) leur paraître comme des ratiocinations de passéistes pessimistes invétérés... Bon , passéiste je ne crois pas, mais pessimiste je garde !

Bonne soirée , malgré tout....

Non amiread1, nous ne sommes pas passéistes. Nous sommes dans l'allant de la marche (à pied) et nous avons pris le temps de voir ce que le citadin a cru voir. Je te citerais bien des passages entiers du "roi" Baudouin de Bodinat qui parlent trop bien de tout ce qu'on perd à vitesse accélérée. Je te conseille la lecture de son livre, "La vie sur Terre" qui couche sur le papier tout ce à quoi je pense depuis longtemps déjà, une mine, un livre de chevet et le pessimisme de l'auteur déclenche chez moi des écarquillements et des rires à n'en plus finir. Quand la situation est tragique, je ne peux m'empêcher de rire. Déjà tout petit, quand l'instituteur m'enguirlandait, j'avais un sourire en coin qui attisait sa colère. Un cercle vicieux. Malgré un pessimisme ancré dans la rude réalité, je reste optimiste car le rire de mes enfants me réconcilie avec la vie, le temps d'un rire mais c'est déjà ça.
A bientôt cher amiread1.

Je suis allé me renseigner sur ton "roi Baudoin", j'ai trouvé un site qui met quelques pages de son livre à disposition....Je me suis délécté de sa prose lucide et désespérée ; effectivement c'est une oeuvre d'un tel pessimisme qu'elle en devient jubilatoire de par le fait qu'elle atteint par résonnance nos croyances les plus intimes ( que simplement la vie est ...tragique) ; une fois la certitude que tout espoir d'amélioration est vain, alors l'on peut commencer à goûter "l'ici et maintenant"... c'est un peu comme traiter le mal par le mal ; ainsi lorsque je déprime (pour X motifs...) rien ne vaut l'écoute d'une oeuvre de Gustave Malher (la 2e symphonie ou le dernier lied du Chant de la terre : Abschied...) , ou simplement une belle oeuvre bien désespérée de Schubert (je conseille "La jeune fille et la mort"...) ; ou alors une chanson de Trenet comme "La folle complainte" qui titille nos sanglots nostalgiques pour ce qui n'est plus. ( bon je concède que d'aucuns peuvent résoudre ce problème de catharsis en déchainant sur leur chaîne HFi Iron Maiden, AC/DC, ou pourquoi pas Johnny Haliday... mais, bon, c'est pas trop mon truc...).

....et comme l'écrit notre cher Frédéric Schiffter à la toute fin du "Bluff éthique" (en opposant les deux conceptions philosophiques de l'existence), " .... sans qu'il soit besoin de m'étendre sur ce thème , il me suffit de dire que les amoureux de la sagesse et les amateurs du pire ne s'opposent pas tant intellectuellement que psychologiquement : alors que les optimistes ne plaisantent pas avec les motifs d'espérer en une existence moins tragique, les pessimistes ne se privent pas d'en rire." Mais c'est tout nous ça !!!!

Bonne soirée Franz et profite bien de l'embellie climatique (bon, la bas à Nîmes vous n'avez pas de ces problèmes anticycloniques qui nous minent le moral...).