Relecture de ce roman classique sur Constantinople de la minorité grecque au XIXe siècle (cette traduction française est vraiment excellente). Loxandra est une héroïne haute en couleur et exubérante. Son univers domestique et urbain est caractérisé par la couleur, par une foi presque supersticieuse et, surtout, à chaque paragraphe, par le goût; on peut parler d'un roman entièrement gustatif... Le récit de sa vie, chronique familiale reconstituée par sa petite-fille, scandé par les mariages, les deuils, les départs en mer, les déménagements qui constituent une chute progressive et une source de nostalgie incurable (surtout lors de l'impossible "rapatriement" à Athènes, dans un pays où Loxandra est condamnée à être une étrangère et où elle ne pourra rester longtemps), est aussi un aperçu de la vie (au féminin) de la communauté grecque d'Istanbul. Il s'agit d'une communauté qui vit sa condition minoritaire dans une ségrégation choisie et autorisée, dans une autonomie "communautariste" heureuse et tolérée au point que même le "massacre des chrétiens" de la part des "chiens d'Agar" (les Turcs) n'est pas compris, et peut très bien se passer aussi à Athènes... Loxandra est donc profondément constantinopolitaine, dans ses moeurs, dans sa langue (pleine d'expressions turques), dans son palais... sa place ne peut être ailleurs.
Cette femme autoritaire et infiniment attachante gardera les rênes de son ménage jusqu'à ses 90 ans, et sa disparition coïncidera avec celle de tout son monde: en 1914 "Hadès ouvre ses portes. Le sang en grandes rivières se met à couler. Une nouvelle époque vient de naître."... et à partir de là, la "Ville des villes" ne sera plus la même pour les minorités... plus jamais.
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