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[Le Prix des sentiments | Arlie Russell Hochschild]
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Posté: Sam 26 Oct 2024 10:37
MessageSujet du message: [Le Prix des sentiments | Arlie Russell Hochschild]
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Nous avons l'habitude de distinguer clairement le travail physique du travail intellectuel et de reconnaître la pénibilité des deux. Or, à l'origine de cet essai de 1983, il y a l'intuition qu'il existe une troisième cause de pénibilité rattachée aux contraintes professionnelles, acceptée comme un coût pour le travailleur qui la subit, comme un profit pour l'employeur qui l'exige et comme un bénéfice concurrentiel pour le client-usager-consommateur qui s'en prévaut. Pour le conceptualiser, elle opère une analogie avec la distinction sus-évoquée, et introduit la notion de « travail émotionnel ». Voici comment ce concept est défini :
« J'utilise le terme 'travail émotionnel' ('emotional labor'), qui désigne la manière de gérer ses émotions pour se donner une apparence physique correspondant à ce qui est attendu socialement (au niveau du visage comme du corps) ; celui-ci a lieu en échange d'un salaire (et a donc une valeur d'échange). J'utilise de manière indifférenciée les termes de 'travail émotionnel' ('emotional work') ou 'gestion des émotions' ('emotion management'), qui se réfèrent à des actes de même type, mais effectués dans la sphère privée, où leur seule valeur est une valeur d'usage. [L'ouvrage a déjà eu une large postérité en France et l'expression "travail émotionnel" y désigne aujourd'hui aussi bien le travail rémunéré ('emotional labor') que celui qui ne l'est pas ('emotional work') (NdT)].
Ce travail requiert d'un individu qu'il déclenche ou refoule une émotion dans le but de maintenir extérieurement l'apparence attendue (en l'occurrence, le sentiment d'être pris en charge dans un lieu convivial et sûr). Ce genre de travail demande la coordination de l'esprit et des sentiments ; il puise parfois au plus profond de nous-même, dans ce que nous considérons comme constitutif de l'essence même de notre individualité.
Si l'on va au-delà des différences entre travail physique et travail émotionnel, on se rend compte qu'ils ont un coût potentiel identique pour l'employé(e) qui les effectue. Ils peuvent rendre celui-ci étranger à la partie de lui-même qui est 'utilisée' pour accomplir la tâche – soit son corps, soit une partie de son esprit – voire l'aliéner complètement. » (p. 27, note et corps du texte).
Nous comprenons aisément qu'une telle définition conduit l'autrice à trois déductions assez intuitives. D'abord que le « travail émotionnel » est l'appropriation en vue de commercialisation dans la sphère professionnelle et productive d'un phénomène identique existant dans la sphère privée et familiale. La gestion des émotions dans le couple et surtout dans les l'éducation des enfants est « naturalisée » voire invisibilisée. Lorsqu'elle est imposée en échange d'une rémunération, elle devient une source d'aliénation. Songeons typiquement au sourire, à la bonne humeur, à l'écoute, à la pacification de la colère de l'interlocuteur, au remerciement et autres expressions de gratitude et de subordination : il s'agit de comportements qui requièrent parfois un effort et qui dès lors s'opposent intrinsèquement à la spontanéité de l'individu.
Deuxième déduction : que le travail émotionnel concerne davantage les femmes que les hommes. La division du travail du patriarcat assigne les femmes à la gestion des émotions, d'abord et surtout en vue de leurs rôles dans la sphère privée et familiale. Il se trouve que ce qui est le plus recherché dans les relations entre le travailleur et le client, ce sont les qualités de séduction et de maternage à l'égard de ce dernier, qualités traditionnellement associées à la féminité, même si quelques pages de l'essai sont consacrées au métier d'agent de recouvrement, pour lequel le travail émotionnel consiste à se forger une personnalité directive et menaçante associée à la virilité. Conséquemment à l'assignation féminine, l'autrice note aussi que la tertiarisation du marché du travail, et en particulier la multiplication du nombre de salarié.e.s des métiers du care, provoque une proportion accrue des femmes concernées par le travail émotionnel :
« […] De toutes les femmes qui travaillent, environ la moitié ont un métier requérant du travail émotionnel. Cette recherche a donc une pertinence toute spécifique pour les femmes, et c'est sans doute également plutôt leur expérience qu'elle décrit. Traditionnellement, les femmes savent mieux gérer leurs sentiments dans la vie privée : c'est pour cette raison que ce sont elles, principalement, qui ont mis le travail émotionnel sur le marché, et c'est aussi pour cela qu'elles savent mieux ce qu'il en coûte personnellement de l'accomplir.
[…] Toute société qui fonctionne utilise efficacement le travail émotionnel de ses membres. Nous ne nous posons aucune question quant à l'usage des sentiments au théâtre, en psychothérapie ou dans d'autres formes de la vie sociale que nous admirons ; l'aspect moral de la situation ne commence à nous inquiéter que lorsque nous en venons à parler de l'exploitation du bas de l'échelle sociale par le haut. Dans tout système, l'exploitation dépend de la distribution effective de nombreuses sortes d'avantages – l'argent, le pouvoir, le statut, l'honneur, le bien-être. Ce n'est pas le travail émotionnel lui-même mais bien le système de récompense sous-jacent qui pose la question de ce qu'est le coût de ce travail. » (p. 32)
Troisième déduction, anticipée par cette même citation. Il apparaît de cette distinction de genre la notion de domination dans le cadre de relations de pouvoir. Alors que dans la sphère privée la gestion des émotions peut relever de l'inégalité – entre les membres du couple, entre parents et enfants – ce qui constitue un sujet bien plus vaste, de compétence des études féministes, le travail émotionnel transposé dans la sphère de la production relève de l'exploitation, c'est-à-dire de la dissimulation et de l'occultation d'un coût de ce travail, de l'appropriation d'un sur-profit par le capital. Par définition, il est impossible de quantifier le coût d'un travail occulté, mais on peut par contre mesurer sa pénibilité lorsque son imposition revêt des caractères pathologiques. Les maladies professionnelles liées au stress ne sont absolument pas évoquées dans cet ouvrage, sinon dans l'évocation fugitive d'une possibilité de burnout dans le chap. conclusif (cf. cit. 7) et fort limité à une seule hypothèse spécifique. Pourtant, la considération d'une juste mise en relation des effets délétères du travail émotionnel avec les conditions socio-économiques du monde du travail qu'une étude psychologique ou socio-psychologique pourrait certainement étayer en termes de troubles de l'identité est envisagée dès les premières pages (cit. 1), puis totalement négligée.

On le comprend, l'ambition de cet essai, porté par une intuition très originale, était démesurée : elle touchait à la fois à la critique du travail – une critique relevant du paradigme marxien de l'exploitation – et à la critique féministe de l'assignation des rôles de gestion des émotions. Plus généralement encore, on peut parler de la perspective d'une critique sociologique des émotions. Mais sa méthode et ses résultats étaient complètement inadaptés à de telles ambitions. L'étude, au début des années 1980, a été mené quasi uniquement en recueillant les doléances des hôtesses de l'air américaines (et, pour une minuscule démonstration a contrario, celles de quelques agents de recouvrement hommes). D'emblée, une exclusion aussi arbitraire et injustifiée que rapidement périmée a été effectuée d'une multitude d'autres professions – elles aussi principalement féminines – auxquelles le concept de travail émotionnel et les coûts relatifs sont parfaitement adaptés (cf. cit. 6). La préface de l'édition de 2012 ainsi que la postface à l'édition du vingtième anniversaire du livre, en faisant état de la fortune du concept, ont constitué aussi un aveu explicite de l'erreur de cette exclusion.
La conséquence de la focalisation unique sur une seule profession provoque aussi une observation trop restreinte des mécanismes par lesquels le travail émotionnel est imposé aux travailleurs : lors du recrutement, en continu par la hiérarchie, par la déontologie, par des fiches de poste explicites ou des attentes implicites... ? Il apparaît aujourd'hui évident que tous les métiers de « contact avec le public », et particulièrement dans des conditions de tension, prévoient des modules de formation de gestion des conflits et de gestion du stress. S'occuper exclusivement des hôtesses de l'air est presque outrageux pour les assistantes sociales, les infirmières et toutes les travailleuses du care, etc. ; comment évoquer les agents de recouvrement sans se pencher sur les agents des bureaux des Finances publiques ou des services pour l'emploi ou sur les gardiens de centres de détention... ? L'inclusion de métiers plus masculins, en particulier, n'infirmerait aucunement la démonstration féministe quant à l'imposition genrée des rôles et au travail émotionnel afférent.
Par contre, l'autre pan de la démonstration qui est fortement lacuneux, c'est celui de l'analogie entre la sphère privée et la sphère professionnelle. On comprend (cf. cit. 2 et 4) qu'il serait opportun et urgent de dénaturaliser le travail émotionnel familial. D'une certaine manière, il l'est déjà par l'évolution même de la famille durant les quarante dernières années. Mais il me semble que là n'est justement pas le sujet, car la critique économique du travail, celle qui entraîne des coûts économiques occultés, des coûts humains voire des coûts sanitaires (en termes de pathologies psychiatriques d'origine sociale) – reconnaissance de maladies professionnelles et des pathologies du chômage, de la précarité, des conditions de travail dégradées – passe à mon sens par la dénonciation de l'exploitation qui surgit précisément de l'exportation et commercialisation dans la sphère professionnelle de « qualités » typiques de la sphère privée. En d'autres termes, à l'évidence, l'empathie, la séduction, le maternage ne posent pas de problèmes sanitaires lorsqu'ils sont choisis et effectués de plein gré dans la sphère privée, mais il posent problème lorsqu'ils sont imposés plus ou moins subrepticement dans le cadre du travail. D'où les troubles identitaires, précisément, puisque c'est la confusion des identités qui est problématique. Une étude plus approfondie de la dialectique entre sphère privée et sphère professionnelle s'impose pour clarifier les contours du travail émotionnel – et peut-être pour parvenir à un double terme, comme en anglais.
J'ai déjà mentionné la carence au niveau de la clinique des pathologies professionnelles, bien au-delà du risque du burnout, qui serait pourtant une démarche parfaitement sociologique et qui contribuerait sous un autre angle à forger une sociologie (clinique) des émotions.
Enfin, un doute philosophique m'a saisi chaque fois que l'autrice reporte les problématiques du travail émotionnel vers le prisme de la « sincérité » et de l'« authenticité », lorsqu’elle évoque Jean-Jacques Rousseau et le mythe du bon sauvage, à mon sens de façon inopportune et culturaliste, très protestante américaine en vérité, et liée aux péripéties des études psychologiques d'outre-Atlantique (la « congruence » de Carl Rogers...). Au demeurant, l'autrice se montre très condescendante vis-à-vis des travailleurs japonais, qui seraient culturellement tellement conditionnés à accepter le travail émotionnel qu'ils ne se rendraient même pas compte de son existence. Un tel culturalisme, de moins en moins acceptable désormais, masque sans doute un problème de définition dudit travail émotionnel qui est sans doute évitable.



Cit. :


1. « Certaines conditions sociales ont augmenté le coût de la gestion des émotions. C'est normalement le cas de l'imprévisibilité de notre monde social. Tous les individus évoluent aujourd'hui entre de nombreuses sphères sociales et sont habitués à endosser des dizaines de rôles sociaux. […] Nous continuons [cependant] à nous demander "Qui suis-je ?", comme si la question admettait une réponse simple et claire. Nous continuons à chercher un "noyau personnel", solide et prévisible, alors même que les conditions ayant permis son existence ont depuis longtemps disparu.
Face à ces questionnements, les individus se tournent vers leurs émotions afin de se situer eux-mêmes, ou au moins de déterminer quelles seraient leurs réactions face à un événement donné. Autrement dit, en l'absence de lignes de conduite externes incontestables, la fonction de signal de l'émotion devient plus importante ; et la captation commerciale de la gestion des émotions a un coût humain d'autant plus important. » (p. 42)

2. « La famille est considérée comme une "zone de détente" éloignée des pressions du travail, un endroit où l'on est libre d'être soi-même. Elle peut en effet être un refuge contre le travail émotionnel requis dans la vie professionnelle, mais, en échange, elle impose en silence ses propres "devoirs émotionnels". Parmi eux, les obligations émotionnelles du parent envers l'enfant sont peut-être les plus évidentes. Ici, encore plus qu'ailleurs, nous disons de l'amour qu'il est "naturel". La culture peut déterminer son expression, la psychologie peut expliquer son déploiement, mais nous considérons le sentiment parental lui-même comme "naturel". Nous pensons qu'il n'a besoin d'aucun écran normatif, d'aucune règle des sentiments : c'est la nature qui joue pour nous le rôle de convention.
[… Pourtant] tout lien semblable à celui entre le parent et l'enfant est sujet à une certaine ambivalence et doit obéir à certaines règles : l'enfant aime et hait le parent, le parent aime et hait l'enfant. Mais les règles culturelles prescrivent dans chaque cas des mélanges acceptables de sentiments. Ces règles se présentent à la conscience comme des injonctions morales – nous "devrions" ou "ne devrions pas" ressentir ceci, nous "avons le droit" ou "n'avons pas le droit" de ressentir cela. » (pp. 88-89)

3. « Considérons l'échange où l'employé expérimenté conseille l'employé débutant. Dans cet échange, l'employé débutant a "payé" les conseils en reconnaissant son infériorité face à l'expert, tandis que l'expert a reçu, en remerciement du temps qu'il a consacré à son collègue aux dépens de son propre travail, une considération qui flattait son ego. Cela profite aux deux parties. Mais, passé un certain point, il deviendrait plus coûteux à l'expert de fournir de nouveaux sacrifices de plus en plus chronophages, car son propre travail commencerait à en pâtir ; par ailleurs, de nouvelles marques de reconnaissance de sa supériorité seraient moins gratifiantes que lors des premiers échanges. Il serait alors réticent à donner de nouveaux conseils, à moins que l'égard et la gratitude ne deviennent de plus en plus extrêmes. Pour faire court, le prix augmenterait.
Celui qui demande conseil doit être reconnaissant envers celui qui le conseille. Mais que signifie "devoir être reconnaissant" ? Qu'est-ce qui est, exactement, ressenti comme étant "dû" ? Ce qui semble être dû est un "affichage sincère" – un hochement de tête, un sourire franc, un regard légèrement soutenu, et les mots suivants : "Merci, Charlie, j'apprécie vraiment. Je sais à quel point tu es occupé." […]
Un individu peut n'offrir à celui qui le conseille qu'une imitation de cette reconnaissance sincère ; mais il peut aussi se sentir réellement reconnaissant, et sa dette se paie ainsi en monnaie d'or et non d'argent. De la même manière, le conseiller peut penser : "Je mérite une reconnaissance sincère, pas une simple reconnaissance feinte." Lorsque celui qui donne et celui qui reçoit ont une certaine attente concernant le degré de sincérité qui est dû, leur comportement peut être jugé comme correspondant plus ou moins bien à ce degré. » (pp. 97-98)

4. « Dans la vie privée, nous sommes libres de remettre en cause le taux de change usuel et d'en négocier un nouveau. Si nous ne sommes pas satisfaits, nous pouvons partir ; nombre de mariages et d'amitiés prennent fin à cause d'une inégalité de cet ordre. Les relations hommes-femmes dans la vie privée ont pour arrière-plan l'arrangement entre les sexes qui prévaut plus largement dans la société. Au niveau fondamental des échanges émotionnels, un couple égalitaire, s'il se trouve dans une société qui, dans son ensemble, subordonne les femmes, ne peut pas être vraiment sur un pied d'égalité. Prenons l'exemple d'une avocate qui gagne autant d'argent et est aussi respectée que son mari ; celui-ci, même s'il accepte cette situation, peut encore estimer qu'elle lui doit de la reconnaissance pour son esprit libéral et sa participation égale aux tâches ménagères. Ses demandes sont perçues comme inhabituellement importantes, celles de son mari comme inhabituellement faibles. Le "marché" des autres partenaires offre potentiellement à l'époux du travail domestique gratuit, alors qu'il n'en offre pas à son épouse. Au vu du contexte social plus large, elle a de la chance de l'avoir. Et c'est généralement à elle qu'incombe le fardeau [travail émotionnel] de retenir l'indignation qu'elle ressent de devoir se sentir reconnaissante.
Mais, dans le monde du travail, accepter les échanges inégaux, se voir manquer de respect ou subir la colère d'un client font souvent partie de la tâche d'un individu, qui doit dans le même temps réprimer la colère qu'il ressent. Là où le client est roi, les échanges inégaux sont légion et, dès le départ, les clients et les consommateurs savent qu'ils ont des droits spécifiques quant aux sentiments qu'ils ressentent et qu'ils peuvent afficher. En effet, le registre comptable est – prétendument – équilibré par un salaire. » (p. 105, corps du texte et la note)

5. « Comme les manuels de l'entreprise, les recruteurs dispensent des conseils sur la bonne manière de se comporter. Ils supposent généralement qu'un candidat prévoit d'adopter une certaine posture ; la question est de savoir laquelle. En donnant des astuces pour réussir, les recruteurs parlent souvent d'une façon pragmatique du rôle qu'il faut endosser, comme s'ils partaient du principe qu'il était acceptable, voire tout à fait honorable, de simuler. Comme dit un recruteur : "Je devais conseiller beaucoup de gens qui cherchaient un emploi, et pas seulement à Pan Am. […] Et je leur disais que le secret pour obtenir un travail est d'imaginer le genre de personne que l'entreprise veut embaucher, puis de devenir cette personne pendant l'entretien. Au diable vos théories sur ce en quoi vous croyez, sur votre intégrité et sur tout ce genre de trucs. Vous ferez tout cela quand vous aurez eu le poste."
Dans la plupart des compagnies, une fois que le candidat a passé le cap de la sélection initiale (pour le poids, la ligne, les dents droites, le teint, la régularité des traits, l'âge), il ou elle est invité(e) à un entretien de groupe où un "test d'animation" a lieu. » (pp. 116-117)

6. « On devrait noter que, bien que l'assistante sociale, la puéricultrice, le médecin et l'avocat aient un contact personnel avec les gens et essaient de contrôler leurs états émotionnels, ils ne travaillent pas avec un superviseur émotionnel à portée de main. Ils supervisent leur propre travail émotionnel en prenant en considération les normes professionnelles informelles et les attentes des clients. C'est pourquoi leurs métiers, comme beaucoup d'autres, remplissent seulement deux de nos trois critères.
Combien de travailleurs ont des emplois qui requièrent du travail émotionnel ? C'est seulement en demandant aux employés ce qu'ils font en réalité et en demandant aux employeurs ce qu'ils attendent en réalité d'un employé qu'il est possible de répondre avec un minimum de précision ; après tout, le type de travail réellement effectué dans un métier particulier ne devient apparent que lorsqu'on s'intéresse aux attentes qui existent sur le terrain.
[…]
À tous les niveaux socio-économiques, il existe des métiers qui placent des fardeaux émotionnels sur les épaules des employés ; mais ces fardeaux peuvent ne pas être liés au fait de fournir du travail émotionnel. Parmi les classes populaires, pour lesquelles le travail est souvent déqualifié, ennuyeux et dont le processus relève d'instances échappant au contrôle de l'employé, la tâche émotionnelle consiste souvent à refouler des sentiments de toutes sortes. Dans l'ensemble, les ouvriers d'usine, les chauffeurs routiers, les fermiers et les pêcheurs, les manutentionnaires, les plombiers et les maçons, les femmes de chambre d'hôtels où les clients ne font que passer et les employés des pressings n'engagent pas autant leur personnalité, n'utilisent pas autant leur sociabilité et ne soumettent pas leur travail émotionnel à des structures professionnelles aussi étroitement que le font l'hôtesse de l'air et l'agent de recouvrement. » (pp. 172-173)

7. « Les écarts occasionnels à la norme de civilité que nous tenons pour acquise nous rappellent que le travail émotionnel est déterminant pour la stabilité sociale. Mais, comme la plupart des grandes réussites, cette ingénierie perfectionnée du travail émotionnel entraîne de nouveaux dilemmes, de nouveaux coûts humains […]
Voici trois positions que les employé.e.s semblent adopter vis-à-vis de leur travail, chacune comportant ses risques propres. Dans la première, l'employé.e s'identifie trop pleinement à son travail et risque par conséquent le burnout. Dans la deuxième, l'employé.e fait une distinction claire entre elle et son travail, et est moins susceptible de faire un burnout, mais elle peut se reprocher de n'être alors "qu'une actrice", de n'être "pas sincère". Dans la troisième, l'employé.e établit une distinction entre elle et le rôle qu'elle joue, ne se le reproche pas, et considère, de manière positive, que son métier requiert qu'elle soit capable de jouer un rôle. Pour cet.te employé.e, il existe un risque de s'éloigner complètement du rôle qu'elle joue et de développer à son égard un certain cynisme – "Nous ne faisons que créer des illusions". » (p. 208)

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