Charlie Bucktin, treize ans, est un ado intello, un bibliovore totalement incapable de manier correctement une batte de cricket. Dans une petite ville minière et provinciale comme Corrigan (Australie), cette différence fait de lui le punching-ball de ses camarades. Il partage toutefois son statut de souffre-douleur avec son meilleur (et unique) ami, Jeffrey Lu, son voisin d'origine vietnamienne, victime d'un racisme à peine voilé.
Par une chaude nuit de l'été 1965, alors que Charlie est plongé dans la lecture d'un ouvrage de Mark Twain, Jasper Jones, le paria de la ville, un gamin à moitié aborigène, frappe à sa fenêtre et lui demande son aide. Par curiosité, pour le frisson de la transgression, et flatté d'avoir été choisi, Charlie suit Jasper jusqu'à une jolie clairière enfouie dans le bush où l'attend une terrible découverte :
« Si j'avais affaire à quelqu'un d'autre, je tournerais les talons. Je ne me faufilerais pas sous le rideau de branches de l'acacia en baissant la tête. Je ne me raccrocherais pas à son tronc rugueux de crainte de trébucher. Je n'écarterais pas le feuillage. Je n'apercevrais pas une clairière. Et je ne découvrirais pas le secret de Jasper Jones. »
Cette nuit-là, Jasper Jones lui fait jurer de garder le silence, mais le secret est immense, et bien lourd à porter pour des enfants. Ainsi contraint par son pacte de silence avec Jasper, Charlie commence à porter un regard nouveau sur son entourage - sa famille si unie, les honorables citoyens de Corrigan - car le secret de Jasper Jones n'est pas le seul qui lézarde la petite ville...
Ainsi, en l'espace d'un été, Charlie, un gamin un peu trouillard et un peu mou, va se retrouver confronter à la mort violente, à la culpabilité, aux insuffisances des adultes, au mensonge, au racisme, à l'injustice... Un rude apprentissage du passage à l'âge adulte à peine contrebalancé par l'amour encore enfantin qu'il voue à la frêle Eliza. Le tout dans une communauté en vase-clos, empoisonnée de non-dits, sous-tension, qui doit faire face à la fois à fermeture de la mine (unique employeur de la ville), aux conséquences de la guerre du Viêt Nam (dans laquelle l'Australie est engagée dès 1962), et à la disparition d'un de ses enfants, Laura, jeune fille de 15 ans qui s'est mystérieusement volatilisée.
Le secret de Jasper Jones constitue donc un récit initiatique assez cynique, à l'atmosphère parfois pesante (le rythme est lent, le climat chaud et lourd), mais allégé par quelques touches d'humour bienvenues (les joutes verbales entre Jeffrey et Charlie sont réjouissantes). C'est un roman au style fluide, parfois un peu bavard, dont les personnages s'avèrent très attachants. Un livre qui brasse habilement beaucoup de "grands" sujets universels (l'amour, l'amitié, la famille, le racisme, la justice, etc.).
le cri du lézard