[Nocturne du Chili | Roberto Bolaño, Robert Amutio (Traducteur)]
Roberto Bolano est un malin (ou plutôt "était" puisque cet auteur talentueux est malheureusement et brutalement décédé en 2003 à l'âge de cinquante ans)... il m'a en effet laissé le sentiment, avec son "Nocturne du Chili", de m'avoir amenée exactement là où il le voulait, mais de façon tellement subtile que je m'y suis retrouvée sans avoir eu le temps de prendre conscience du chemin emprunté...
"Nocturne du Chili" est un long monologue, celui du père Ibacache, que l'on devine mourant, et qui n'a visiblement pas la conscience tranquille. Autant vous prévenir d'emblée : le narrateur ne nommera, n'expliquera jamais vraiment les raisons de cette culpabilité latente, et il n'est d'ailleurs pas certain qu'il se les énonce clairement à lui-même.
Mais petit à petit, par de menus indices, des allusions, voire des faits, nous comprenons qu'il s'agit de la culpabilité de ceux qui, face à une situation qui aurait dû provoquer une réaction de révolte, n'ont rien fait, et qui, par cette attitude passive, ont tacitement accepté ladite situation.
En l'occurence, c'est de la dictature instaurée au Chili suite au coup d'état du général Pinochet dont il est ici question, des exactions (meurtres, tortures...) qui furent alors commises, et que le père Ibacache n'a pu ignorer.
Également critique littéraire, ce dernier eut par ailleurs l'occasion de rencontrer de nombreux écrivains chiliens, dont le poète Pablo Neruda, par l'intermédiaire d'un grand propriétaire terrien amoureux d'art et de culture, ce qui ne l'empêcha pas de considérer favorablement l'accession au pouvoir du général avec un opportunisme glaçant.
Car c'est là aussi que réside le propos de Roberto Bolano : le fait d'être cultivé, d'apprécier la littérature et la poésie, ne protège ni de la lâcheté, ni de la mauvaise foi -et ce dans les deux sens du terme ! Si elle n'était pas aussi affligeante, l'attitude du père Ibacache, qui, durant les périodes les plus troublées de la dictature, se replonge dans la lecture des philosophes grecs, en serait presque risible !
Comme s'il pouvait racheter en s'imprégnant d'un humanisme tout théorique son incapacité à mettre ce même humanisme en pratique... livres ou soutane faisant office de paravent pour cacher -en premier lieu à soi-même- ce qu'implique cette contradiction.
Dans la mesure où l'auteur donne la parole à un individu qui peine à assumer ses faiblesses, et qui, même au seuil au de la mort, se cherche encore des excuses, cette problématique de la responsabilité individuelle est plus suggérée que clairement exprimée.
Et pourtant, il parvient ainsi à nous amener à formuler nous-mêmes ce qui transparaît peu à peu au cours de la lecture : que reste-t-il des beaux principes théoriquement si faciles à défendre lorsque l'on se retrouve en position de les appliquer ? Jusqu'où, lorsque l'on n'est pas directement menacé, sommes-nous prêts à nous impliquer pour combattre l'injustice et la barbarie ?
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