[Un grand merci à l'ami Franz dont la note m'a fait prendre en main ce livre]
L'attraction du regard inscrit sur la photo d'une femme au cimetière du Père-Lachaise, et peut-être aussi un nom aux consonances exotiques et une date : Leïlah Mahi, 12 août 1932, provoquent le début d'une enquête sur l'identité de la défunte, de la part d'un auteur qui est rompu à l'exercice de redonner la vie à des jeunes mortes oubliées. Au début, on ne suit que le fil de l'investigation. Puis au rythme de son piétinement, Didier Blonde s'aperçoit progressivement que ce qu'il collectionne, ce sont des récits surgis de l'imagination et des suggestions diverses que cette image a créées chez les différents interviewés, ainsi que sur lui-même. Loin d'une quelconque réalité personnelle du personnage, sourd une narration composée d'évocations subjectives, sans qu'une vérification objective ne soit possible, et cela n'a dans le fond aucune importance. Leïlah, dont on ne voit même plus bien si elle est nue ou habillée, pourrait être un simple canular. L'étape suivante de la mise en abîme de sa quête, alors qu'il prend conscience par ailleurs que « [son] enquête pourrait bien ressembler cette fois à une profanation » (p. 107), porte sur la fascination de l'image, et surtout, sur celle du nom. Le nom est-il déjà créateur d'un récit ? Le nom, jusques et y compris celui de l'auteur sur une couverture de livre n'est-il pas la parole de ou rendue à un mort ?
Singulière coïncidence que d'avoir mis la main sur ce livre juste après en avoir fini un autre qui m'a fait repenser à l'image photographique de son auteur oublié. Sperco et quelques autres, je les ai tirés de l'ombre à une certaine époque, par une enquête biographique qui, si elle n'a pas eu leur image comme point de départ, a eu pour moment remarquable la découverte de ces photos : un moment ressenti tel une gigantesque conquête. C'est sans doute pour cela que, sans avoir conceptualisé les motifs profonds de ma recherche d'auteurs défunts inconnus, contrairement à Blonde, j'ai reconnu au fil de ses pages les mêmes sensations et des sentiments très comparables à ceux qu'il décrit si bien. Cela m'est arrivé aussi avec Modiano (mais moins intensément, sans doute à cause de la conscience qu'il s'agissait de fiction), alors que les enquêtes des polars, si bien menées soient-elles, ne m'ont jamais provoqué la même chose.
En revanche, j'ai été déçu par la chute brutale du livre, là où l'auteur a le sentiment d'en savoir assez désormais, après la réception d'une dernière pièce, de ne pas vouloir en apprendre davantage alors que plusieurs pistes intéressantes ont été ouvertes par elle. Frustration par excès d'identification, sans doute...
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