Témoins d’accusation.
En récupérant la lettre envoyée par Thompson à Comstock qui commandite le meurtre de Berkamp afin qu’il ne parle pas à la police, Tex Willer et Kit Carson détiennent un document d’accusation de première main. A l’hôtel Arizona de Gallup, les rangers vont dénicher Mike Thompson et ainsi pouvoir retrouver l’expéditeur du télégramme qui n’est autre que George Douglas, le secrétaire d’Ely Samuel Parker, le commissaire aux affaires indiennes à Washington. Avant de pouvoir atteindre la grande ville américaine, les rangers accompagnant les plaideurs, les chefs indiens des réserves lésées par les agissements délictuels des agents gouvernementaux corrompus.
Le scénariste Claudio Nizzi a parfaitement agencé son histoire sur deux numéros avec des morceaux de bravoure ponctuant chaque étape. Victor de la Fuente, dessinateur doué et prolifique, a souvent dû réaliser des œuvres alimentaires. Sa participation active chez Elvifrance spécialisé dans les bédés petits formats porno soft dans les années 1970 témoigne de ces contraintes. Son talent flagrant lui permettra pourtant d’émerger dans toute cette production de gare souvent destinée aux bidasses. La série Mortimer, wester érotique en 12 tomes en est un bon exemple. Pour les éditions italiennes Sergio Bonelli, il aura la possibilité de montrer son savoir-faire dans l’album Tex Spécial n° 5 « Flammes sur l’Arizona ». Il demeure un artiste réaliste majeur et chacune de ses productions attirent l’attention.

La colline de la mort.
Originaire de la tribu Sénécas, Ely Samuel Parker est commissaire aux Affaires indiennes. Sensible au devenir des Amérindiens, il veut tenter de remédier aux trafics illégaux qu’organisent les agents corrompus revendant l’aide gouvernementale à des marchands sans scrupule et affamant les Indiens cantonnés dans les réserves. Son secrétaire, de connivence avec les trafiquants, les avertit des mesures prises en haut lieu. Tex Willer et Kit Carson savent que les chefs des tribus lésées veulent se rendre en délégation à Washington pour défendre leur cause. Les rangers vont tout faire pour les aider mais sur place, les malfrats s’organisent afin d’étouffer dans l’œuf la remise en cause de leurs trafics lucratifs.
Claudio Nizzi, en scénariste aguerri, sait parfaitement agencer son histoire de spoliation indienne. Conçue sur deux numéros, le récit culmine en première partie lors de la confrontation entre les bandits et les rangers sur la colline de la mort. Le grand bonheur des aficionados est de retrouver le talentueux dessinateur espagnol Victor de la Fuente (1927-2010) dont le talent ne s’est jamais érodé au fil du temps. A 73 ans, il réalise encore une partition graphique magistrale avec cette aventure de Tex parue en janvier 2000. Son trait est précis, expressif, charpenté. Il sait admirablement travailler les postures, les visages et quand il s’agit de restituer les intérieurs et les paysages, il ne lésine pas sur les détails. Il est dommage qu’aucune de ses créations n’ait pu s’imposer dans l’imaginaire collectif.

Duel à mort.
En interceptant et en détruisant un convoi d’armes à destination des Navajos en guerre, Kit Carson et Kit Willer apprennent de Talbot, un comanchero survivant où trouver Ned Overend dans la ville de Gallup, le trafiquant d’armes responsable de la rébellion indienne. Dans une baraque isolée, Overend discute avec l’officier Wellman des suites à donner à l’opération de déstabilisation menée de concert.
Dans une aventure où l’amitié, la loyauté et le courage se heurtent à la perfidie, la lâcheté, la rivalité, l’action ne peut que s’entremêler aux sentiments, nobles ou vils. Le cocktail est déflagrant et les éclats imprévisibles. L’amour inexprimé d’Alison pour Tex Willer, survivante avec son fils Billy d’un massacre perpétré par les Navajos en guerre, traverse en filigrane un récit et imprime à l’histoire une note tendre et désespérée, un chant d’apprivoisement impossible entre Eros et Thanatos. Le duel final entre Ours-Véloce, galvanisé par ses visions prophétiques et Tex Willer contraint de lutter à mort pour éviter une guerre perdue d’avance entre les Navajos et les militaires est singulier et prenant avec une chute différée mais spectaculaire. La correction infligée à Yanado par Tex est expéditive et teintée d’humour. Fabio Civitelli a soigné ses cases et ses planches durant les trois années nécessaires (1997-2000) à l’exécution de son œuvre. Le résultat est probant et place le dessinateur transalpin au pinacle des meilleurs artistes de la série.

L’homme venu du fleuve.
Une colonne de soldats se dirige au petit matin sur le village central des Navajos. Le capitaine Farlow a la lourde charge d’apprendre à Kit Willer et à Kit Carson la disparition de Tex Willer alors qu’il était transféré de Fort Defiance à la prison fédérale d’Holbrook. Incarcéré sur l’ordre du major Wellman pour s’être opposé vigoureusement aux décisions arbitraires de l’officier belliqueux, le chef des Navajos, menotté a été emporté par une rivière en crue, le flot renversant le fourgon, noyant soldat et cocher. Laissant le camp sous la conduite de Tiger Jack avec la recommandation expresse de ne pas provoquer les soldats, les deux Kit ne peuvent se résoudre à la mort de Tex et décident de se rendre sur les lieux du drame.
En chef d’orchestre avisé, Claudio Nizzi complexifie habilement son récit en rendant le héros vulnérable. Ses arguments n’ont fait que braquer encore plus un officier militaire désireux d’en découdre avec l’adversité et l’inertie du fort où il est cantonné. Tex ne peut que vociférer et abdiquer. Heureusement, Kit Carson arrive à sauver les meubles en usant de diplomatie et en disposant de clairvoyance. Fabio Civitelli continue de fournir un dessin de grande qualité. Il multiplie les angles de vue, travaille les détails. Son trait n’est jamais aussi beau que lorsqu’il se dilue dans des arrière-plans ou dans des crayonnés grisés. L’aventure palpitante trouve sa conclusion dans le n° 477.

Le présage.
Coiffé de sa toque cornue, Ours-Rapide se rend dans le hogan isolé de Yanado, maître de l’hypnose et des drogues que Tex Willer a relégué dès lors où le sorcier navajo a refusé de se priver de ses pouvoirs psycho-chimiques délétères. En proposant à Ours-Rapide d’accéder à des visions orientées par ses soins, Yanado conduit insidieusement le Navajo belliqueux sur le sentier de la guerre, le persuadant qu’il deviendra un grand chef après avoir terrassé et tué Aquila della Notte, nom indien de Tex Willer. Passant immédiatement à l’action, Ours-Rapide et une poignée de Navajos s’attaquent aux fermes et aux factoreries isolées, semant la mort, la peur et le ressentiment. Tex Willer est mis au courant de sombres prémonitions par Nuage-Rouge, sorcier du village. Connaissant la lucidité et la fiabilité du sorcier, Tex ne prend pas à la légère les propos rapportés d’autant qu’au matin, des signaux de fumée avertissent Tex et ses amis d’attaques indiennes dirigées sur les colons. Tex enfourche son cheval et se dirige à bride abattue à Fort Defiance afin de calmer les militaires pressés d’aller mater les Navajos sans distinction. Espérant rencontrer le colonel Mitchell, Tex doit se rabattre sur le belliqueux et ambitieux major Wellman, avide d’en découdre avec les rebelles afin de prendre du galon. Pour le chef des Navajos, tout va se compliquer dès lors où Wellman à toutes les cartes en main.
Superbe premier volet (sur trois), « Le présage » introduit une histoire complexe à résoudre d’autant que le commanditaire, Yanado, agissant par vengeance, ne peut pas être repéré alors qu’Ours-Rapide prend tous les risques et s’expose comme le leader charismatique capable de mener les Navajos vers la victoire et la gloire. Chapitrant son récit comme un livre, Claudio Nizzi sait donner de l’épaisseur aux aventures du ranger. Fabio Civitelli s’est particulièrement investi dans cette histoire à laquelle il a aussi participé sur le plan scénaristique. Il aura mis trois années pour mener à bien son œuvre de 342 planches. Son graphisme aérien souvent diapré d’une lumière poudreuse est soigné et expressif malgré la finesse des hachures qui n’appuient jamais les traits des visages. Pilier des écuries Bonelli, Fabio Civitelli a débuté les aventures de Tex Willer en 1985 (n° 293-295) avec « I due killers ». Depuis trente-cinq ans, il gratifie régulièrement la série d’épisodes toujours prenants.